dimanche 3 mai 2009

Frost/Nixon : l'heure de vérité, Ron Howard (2009)

Peter Morgan, le très inspiré scénariste du The Queen de Stephen Frears, continue sa subtile exploration de la politique moderne en penchant sa plume lucide et aiguisée sur le scandale du Watergate. Mais plutôt que de céder à un certain goût de l'ostentation "à l'américaine" en se plaçant au coeur des évènements, il prend du recul et choisit de narrer les coulisses de la mythique interview-confession, trois ans plus tard, du président sortant, Richard Nixon, par un animateur de talk-show britannique, David Frost. Frost/Nixon devient une pièce de théâtre, portées sur les planches par un époustouflant duo d'acteurs : Michael Sheen et Frank Langella.

Une tension constante, des dialogues acérés, un spectacle historique et politique, oscillant entre satire et humanité, il n'en faut pas plus à Hollywood : la pièce deviendra un film. Et c'est dans la filmographie hétéroclite de Ron Howard, étouffé entre une paire d'adaptations baroques plus que de raison de Dan Brown, qu'émergera cet étrange huis-clos délicieusement vintage qu'est Frost/Nixon.

Etonnant de sobriété tant dans la réalisation que le choix d'un montage parallèle très classique, Howard laisse carte blanche à son prestigieux casting : Sheen et Langella redeviennent l'animateur ringardisé qui cherche à faire son come-back et le président usé et humilié, dont l'objectif est finalement le même ; derrière eux, Sam Rockwell, Kevin Bacon, Matthew MacFayden, Oliver Platt et Rebecca Hall complètent une distribution haut-de-gamme.

Si le suspense n'est pas vraiment au rendez-vous (logique, pour un film historique, me direz-vous), le film est constamment sous tension. Celle-ci se base sur un habile système d'oppositions, matérialisées d'abord et avant tout par les personnages de David Frost, le dandy british animateur de talk-show, col pelle-à-tarte et chaussures italiennes, jeune, brushé et sourire immaculé, mondain et inculte à souhait en politique, et Goliath Nixon, président américain, redoutable meneur de débat, cérébral accompli, homme vieillissant rongé par le pouvoir qui lui échappe. Mais cette construction antithétique s'étend à l'ensemble du film : d'abord aux autres personnages (une fille dans chaque "camp" au moment des interviews, brune chez Frost, blonde chez Nixon ; experts assez négligés chez Frost, tirés à quatre épingles chez Nixon...), mais aussi aux modes de vie des protagonistes, à la musique...

Mais si la gestion de cette tension est évidemment très riche, et plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, l'une des grandes forces du film réside à l'inverse dans le traitement fondamentalement humain des personnages. Si le centre du film réside dans ce combat de titans d'intellects, tous les éléments gravitant autour des scènes d'interview ancrent les personnages dans une réalité humaine qui densifie l'intrigue (le point culminant de cette humanité étant bien sûr la scène du coup de téléphone, qui du même coup la rend particulièrement cohérente par rapport au thème central). En effet, on nous montre un certain nombre de scènes où Nixon/Langella et Frost/Sheen parlent loin des caméras, cessant d'être les instruments d'une lutte idéologique qui les dépassent pour redevenir, simplement, des hommes. Cette alternance, elle aussi, participe à la construction clairement binaire du film.

Le propos historique, toile de fond du film, est finalement presque négligé (n'espérez pas en le voyant apprendre ce qu'est le Watergate) au profit d'une réflexion poussée sur le pouvoir des médias, sur l'esprit des masses tout d'abord, mais aussi sur la vie des hommes qui se battent pour contrôler cet outil de propagande de premier choix, et qui finalement, bâtissent leur existence sur une chimère d'eux-même. Oscillant à tout instant entre l'être et le paraître, Frost/Nixon, trop classique dans sa mise en scène pour être un monument du genre, n'en reste pas moins une fresque complexe et intense, magnifiquement portée par des acteurs qui cessent de jouer pour simplement devenir, pour simplement être.

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