mercredi 27 mai 2009

Quinzaine des Réalisateurs : Polytechnique, Denis Villeneuve (2009)

La Quinzaine des Réalisateurs est sans doute la sélection cannoise la plus hétéroclite. De la franche poilade au film politique en passant par l'animation, elle offre un large panel de films de tous les horizons et sert de tremplin à de nombreux réalisateurs, de Scorsese à Rivette en passant par Skolimovsky.

L'idylle qui unit cette sélection parallèle et le réalisateur québecquois Denis Villeneuve n'en est pas à son coup d'essai. En effet, il avait réalisé l'un des segments du film collectif Cosmos, présenté en 1997, et couronné du Prix Internationnal des Cinémas d'Art et Essai. Après une brève infidélité l'année suivante, où son long-métrage Un 32 août sur Terre fut présenté dans le cadre de la Sélection Officielle, et une nouvelle en 2008 avec son court-métrage Next Floor honoré à la Semaine de la Critique, il revient à ses primes amours cannoises de la Quinzaine.

Polytechnique, cousin canadien d'Elephant, raconte les évènements réels de la tuerie de l'Ecole Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989. Mais si le scénario ainsi résumé évoque irrémédiablement le chouchou cannois de Gus Van Sant, le film n'en est pas moins très différent. Dès la séquence d'ouverture, la principale opposition nous saute aux yeux : pour certains spectateurs, c'est pire ; pour d'autres, c'est plus excusable, mais le fait est là. Ici, le massacre a un but. Pas de pulsion irréfléchie oscillant entre autodestruction et égocentrisme, mais purement et simplement l'accomplissement physique d'une réflexion politique. Au diable la parité : dans cette école d'ingénieurs, seules les filles périront.

Villeneuve diffère aussi dans le traitement plastique du massacre. En se basant sur un parti pris visuel fort, celui du noir & blanc, il entretient la tension par un habile jeu de contrastes et de flous. Tantôt montrant crûment, tantôt suggérant avec une élégance presque abstraite (notamment en filmant à l'envers !), il distille la nervosité du spectateur. Il vient également renforcer ses effets visuels par le soutien d'une bande-son très travaillée, jouant sur l'alternance d'une entêtante musique classique et d'un silence pesant que n'interrompent que les cris de terreur et les rares dialogues. Le bruit sourd de la détonation de carabine, quant à lui, se pose en métronome et confirme l'excellence de la gestion de ce ballet sonore.

Polytechnique diffère également d'Elephant dans sa construction. Ici la tuerie est au centre du film, encadrée de deux séquences symétriques autour des deux personnages principaux (le tueur et une de ses victimes) et entrecoupées de flash-backs. Si ce choix d'organisation filmique a l'avantage d'affirmer clairement les intentions et les opinions du réalisateur face à l'histoire qu'il choisit de narrer, il n'en est pas moins la principale faiblesse du film. Faisant basculer son drame dans un manichéisme critiquable, il perd en impact sur le spectateur et tombe à l'excès dans les bons sentiments. On pourra par exemple déplorer l'utilisation des séquences de type "publicité pour entreprise aéronautique".

Enfin, là où les gens sont beaux et torturés chez Van Sant, ils sont ordinaires, cabossés par la vie comme tout un chacun dans cette école aux allures de melting-pot, certes un peu trop pour paraître réaliste, mais juste assez pour faire passer le message, aussi évident qu'il puisse sembler : personne n'est à l'abri. Mais s'il choisit des gens au physique banal, Villeneuve s'entoure malgré tout de personnalités d'acteurs, donnant chacun à leur personnage une chair tangible qui ajoute à l'attachement, l'identification et donc l'angoisse du spectateur.

Pari risqué, donc, mais pari réussi pour Denis Villeneuve, qui, malgré quelques ratés renouvelle le genre de la tuerie adolescente, asseptisé par Van Sant, en y apportant un ton visuel neuf. Le film n'est pas parfait, et le traitement des sentiments est un peu simpliste, mais l'oeuvre vaut le détour. Accordons à Polytechnique l'honneur de la prise de risque qui paie, tout en évitant les écueils de débutants.

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