jeudi 28 mai 2009

Sélection Officielle, Compétition : Taking Woodstock, Ang Lee (2009)

Ang Lee est un cinéaste qui crée toujours l'évènement. Comptant dans sa filmographie des films aussi différents que Ice Storm, Tigre et Dragon, Le Secret de Brokeback Moutain, Hulk et Lust, Caution, il ne manque pas non plus de créer la surprise. C'est ainsi qu'en le voyant s'attaquer au mythe "Woodstock", le microcosme cannois ne pouvait rester indifférent. Et voilà la dernière folie de Ang Lee qui s'invite, quoi que fort peu à propos, dans la sélection officielle. Fort peu à propos, en effet, parce qu'il est évident que Taking Woodstock fait figure d'hurluberlu au milieu des Prophètes et autres Rubans Blancs.

Mais quelque part, son extraordinaire décalage avec la majorité de la production cinématographique actuelle (et cannoise en premier lieu) participe sans doute du charme rafraîchissant de ce divertissement loin d'être bête. Rien à voir avec un grand film, non, mais tout de même un projet et un résultat qui mérite que l'on s'y arrête. Si bien sûr, on n'est pas effrayé par les bons sentiments, les homosexuels, les juifs et les hippies - auquel cas il sera préférable que l'on passe son chemin, mais tout ceci serait follement dommage.

Taking Woodstock, donc, raconte finalement plus l'histoire d'une petite famille des Catskills à un moment charnière de son existence (le fils, lessivé d'être trop gentil avec ses parents, gérants d'un motel délabré, compte abandonner son White Lake pour s'installer définitivement comme décorateur d'intérieur à Greenwich Village) que celle du mythique concert. Décidé à faire un dernier geste pour ses parents, Eliott, le fils trop gentil, décide donc de reprendre pour le compte de son village un festival de musique renié par la ville voisine, histoire de renflouer les caisses White Lakiennes. L'évènement prendra naturellement les proportions qu'on lui connait, et l'existence familiale en sera assez logiquement bouleversée. Mais si ce n'est pas le suspense qui étouffe Taking Woodstock, le film n'en reste pas moins intéressant.

On s'attendrait, avec un tel sujet, à deux heures non-stop de Joplin, Who, Canned Heat et autres Hendrix plein pot, et pourtant non. Refusant de céder à la facilité, Lee néglige totalement le concert pour s'intéresser au public. La musique devient diffuse et étouffée, presque comme une partie du décor. Ce que le réalisateur veut ici retenir de Woodstock, c'est qu'avant d'être "3 days of music", c'étaient bel et bien "3 days of peace". Et c'est bien ça qui l'intéresse. Filmer une scène, tout le monde peut le faire. Et que sur celle-ci se dresse Santana, Joey Star ou Vanessa Paradis, il se trouvera toujours quelqu'un pour s'y coller. Rendre hommage au public, aux organisateurs, aux agents de sécurité, aux grandes ou aux petites mains qui y vont sang et eau pour que tout ça devienne mythique, telle est la mission que se donne le réalisateur. Et la musique n'a finalement que peu à voir avec tout ça.

Lee est de ces cinéastes dont le talent derrière une caméra n'est plus à prouver. Aussi se permet-il de voir grand. Filmant plus ces foules comme un DeMille que comme un Peter Jackson, il s'amuse à en explorer chaque recoin, chaque individualité, faisant parfois ressortir une star, fondue dans la masse, totalement égale à chaque humain autour d'elle (on pense par exemple à Paul Dano, bien plus détendu ici que dans Little Miss Sunshine ou There Will Be Blood !). Personne n'est identique à son voisin, personne ne se ressemble et tout le monde est égal. Et comme pour souligner son message, il va parfois jusqu'à scinder l'écran en cases, ingénieux procédé quoi que fatigant pour les yeux à la longue, pour que personne, dans la salle, ne voit exactement le même film.

Mais si personne ne voit le même film, tout le monde voit les mêmes acteurs. Demetri Martin, Imelda Stauton, Liev Shreiber, et un Emile Hirsch des grands jours, entre autres, crèvent l'écran, délicieusement caricaturaux et pourtant plus vrais que nature. L'intégralité du casting s'amuse d'être un personnage à part entière de ce cliché psychédélique de deux heures, qui campe une époque trop mythique pour pouvoir être racontée de façon objective et réaliste. Reste le trip, dans les deux sens du terme, qui porte le film comme un délicieux hymne à l'Autre, l'Amour, l'Amitié, (l'Amérique,) et tous ces mots qui commencent par un grand A, et qu'on oublie trop souvent.

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