lundi 20 avril 2009

LES FAUSSAIRES (DIE FÄLSCHER), Stefan Ruzowitzky (2008)

Penchons-nous un brin sur ce film qui fut le premier film Autrichien à remporter un Academy Award, l’année passée.
En 1936, le juif Salomon ‘Sally’ Sorowitsch mène une vie de luxe dans les cabarets Berlinois. Il se moque bien de la montée du nazisme ; comme il le dit, pour survivre, les Juifs n’ont qu’à s’adapter. Car lui s’adapte très bien aux bouleversements qui déchirent son pays : il est faussaire, « le plus grand faussaire du monde », et à ce titre, il peut s’autoriser toutes les folies. Jusqu’à ce que la réalité le rattrape : surpris en pleine nuit dans son atelier, il est arrêté, puis déporté. Les années passent et on l’envoie au camp de Sachsenhausen, pour une mission spéciale : créer de faux billets et saboter l’économie alliée. Là-bas, il y rencontre Adolf Burger, un autre prisonnier chargé de l’aider à fabriquer les billets…
Ce film met la lumière sur un fait réel et méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, pendant laquelle un groupe de juifs fut caché et contraint de participer à l’Opération Bernhard, qui visait à déprécier la monnaie des pays Alliés, pour ruiner leur économie et permettre à l’Allemagne de redresser la tête, au moment où elle était sur le point de s’effondrer. Ce fut un peu le ‘coup de la dernière chance’ pour les Nazis, qui cherchaient bien à éviter que leur entreprise, la Conquête de l’Europe, ne reste dans l’Histoire que comme un simulacre de vaste suicide organisé (l’Allemagne avait tout juste de quoi tenir jusque 1941 ; la Russie et les puits de pétrole qu’elle détenait en Roumanie avait de quoi leur sauver la mise : on sait aujourd’hui que ce fut le début de la fin).
La tension qui en découle se reflète plutôt bien dans le film, à la vue des comportements tantôt brutaux, tantôt suppliants des Nazis : constamment dans le film, ils rappellent à quel point la mission est vitale pour eux tous, et qu’un échec se solderait par l’exécution de l’intégralité du groupe ; lorsque la situation devient critique, et que le besoin d’argent se fait de plus en plus pressant, c’est un marché qui s’établit entre Herzog, le sturmbannführer et Sorowitsch, renforçant l’étrangeté du huis clos dans lequel ce dernier et ses hommes se trouvent plongés.
C’est sur ce huis clos, cette idée de confrontation directe entre deux ennemis que s’appuie Ruzowitsky pour réaliser l’essentiel de son film. Mais, contre toute attente, ce n’est pas entre Juifs et Nazis que s’établit la confrontation ; à eux seuls, ce sont bien Sorowitsky et Burger qui vont former les deux groupes principaux, isolés et opposés. Entre eux deux, le reste des prisonniers, la ‘famille’, dont le sort dépendra de l’issue du débat.
Ici, c’est bien d’honneur dont il est question, de l’honneur face à la conscience, face à la survie ; et l’on découvre rapidement que les deux personnages sont totalement antithétiques sur le sujet. Burger est le communiste, qui pense qu’il vaut mieux que le groupe de faussaires meure la conscience tranquille plutôt que de collaborer avec les Allemands et de causer plus de morts, dehors. De tout le film, il sera le seul à prôner le sabotage, la révolte. Sorowitsch, lui, est l’individualiste moderne, l’homme rationnel par excellence, et c’est bien normal : c’est lui qui manipule l’argent. Lui préfère au contraire penser qu’il vaut mieux aider les Allemands et vivre encore quelques jours, quelques années de plus, plutôt que de laisser passer cette chance inestimable de survivre dans un camp d’extermination. A l’inverse de Burger, lui fera toujours tout son possible pour faire bonne figure devant les Nazis et maintenir ses camarades en vie.
C’est là qu’est le propos central du film, qui n’est pas sans rappeler le débat de fond de Morts sans Sépulture, de Sartre, et c’est de là que le spectateur en vient à se poser les plus grandes questions : mieux vaut-il mourir pour des idées ? Sinon, quel est le coût de la vie ? Sur ces nombreux points, l’auteur possède l’élégance de n’apporter aucune réponse, de laisser au spectateur seul se faire son propre avis et trancher sur cette question, comme sur celle de savoir qui des deux personnages principaux est un réel héros. La réaction des autres prisonniers, à la fin du film, laisse d’autant plus éclater toute la complexité du sujet.
Mais c’est également là que le film pêche cruellement. A trop vouloir toucher à la fois à la fresque historique et à la fois au débat moral, le réalisateur se perd, et le résultat apparaît bancal, mal assuré, faute d’avoir su choisir entre un film historique et un film métaphorique. C’est fort dommage, puisque forcément, l’histoire passe moins facilement, le spectateur ne sachant plus s’il a affaire à une scène qui a réellement eu lieu ou à une scène ne servant qu’à illustrer la joute philosophique des deux protagonistes.
En matière de points faibles, la réalisation, très classique, académique diront certains, laisse une certaine impression de déjà-vu, quoique plutôt efficace. Mais le pire réside certainement dans l’utilisation de la lumière : c’est très sombre, trop sombre même. La qualité de l’image semble suivre un certain mouvement apparu récemment, qui tend à tout assombrir et rendre certains blancs éclatants, extrêmement brillants, afin de donner une espèce de grain ‘authentique’ au résultat ; et c’est très exaspérant, puisque dans le cas présent c’est utilisé à toutes les sauces, pour n’importe quelle scène, masquant de nombreux détails (et peut-être par-là la faiblesse des moyens financiers du film), fatigant les yeux du spectateur qui cherche désespérément à suivre et saisir les détails primordiaux qui apparaissent fugacement à l’écran.
La musique, enfin, pour le dire en quelques mots, est agaçante, et noie l’histoire dans des ambiances inadéquates, voire superflues. Heureusement, on en fait vite abstraction, tant notamment la performance des acteurs est époustouflante, Karl Markovics, August Diehl et Devid Striesow (respectivement Sorowitsch, Burger et Herzog) en tête.
Le film n’est absolument pas mauvais, non ; au contraire, même, il regorge de nombreuses qualités : le principal problème de Ruzowitsky, pour un sujet de cette envergure, c’est d’avoir voulu trop bien faire, d’avoir voulu trop en faire ; ce qu’il gagne en profondeur, il le perd en assurance.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Dommage que le réalisateur n'ait pas su choisir comme tu dis entre fresque historique et débat philosophique... En effet, s'il s'était décidé pour la philosophie, j'aurais adhéré, car tu as su mettre en valeur les qualités du film, et surtout des acteurs. Malheureusement, je ne suis pas une fan des films historiques, la trame historique n'a grâce à mes yeux qu'en restant un prétexte.
Aussi, j'attendrai que Les Faussaires passent à la télé...
Bravo pour la richesse de ta critique.
Madame T.