vendredi 28 novembre 2008

The Black Out, Abel Ferrara (1997)

Abel Ferrara m'a violé. Je n'avais jamais vu de films de ce réalisateur, et je n'ai jamais été violée, mais j'en suis sûre, c'est le mot. Etrange et sordide phénomène d'attraction-répulsion, horreur, dégoût mêlés d'une perverse fascination. Et puis la peur, aussi. Et cette sensation d'être mis à nue.

Tiens, Abel Ferrara a commencé avec un "film classé X" (j'aime les belles tournures d'allociné...). Allez savoir pourquoi ça ne m'étonne pas. On sent dans l'impudeur et la brutalité des images, la violence du propos (et accessoirement dans le personnage du vidéaste, qui fantasme sur le tournage d'une vidéo artistico-exhibitionniste, cf. paragraphe suivant), une certaine fascination perverse pour cette crudité et cette cruauté. De la vie ? De l'homme ? Du système ? Allez savoir. C'est là la force du film. On s'interroge. On a un peu la nausée, mais on se sert de sa tête autant que de ses tripes.

The Black Out, donc, en quelques mots. Matty est un célèbre acteur hollywoodien (et donc porté comme il se doit sur la drogue et l'alcool), en couple depuis cinq ans avec une jeune et jolie française fraîchement enceinte. Tous deux partagent d'ailleurs la vedette d'un pseudo-remake moderne à l'américaine de Nana (de Renoir) où les acteurs sont surtout des exhibitionnistes qui paient pour être filmés par la caméra perverse et affutée d'un vidéaste déçu par le cinéma. Mais lors de sa demande en mariage, Matty est complètement imbibé et cette nuit-là va s'effacer de sa mémoire... Et on le retrouve 18 mois plus tard, sobre depuis un an, et membre des Alcooliques Anonymes, en couple avec une saine et jolie jeune blonde. Mais l'angoisse obsessive de son black out et du départ inexpliqué de sa précédente compagne le pousse à retourner sur ses traces et faire face à ses démons.

Vu comme ça, le scénario peut sembler relativement classique, voire emprunt d'une certaine facilité. Et pourtant, les méandres qu'il trace, la découverte progressive de la réalité des souvenirs, les liens entre les personnages et les histoires savamment entremêlées lui confère toute sa complexité. De plus, les habiles exercices d'image auxquels Ferrara se plaît à se livrer servent admirablement son propos. La frontière entre réalité, rêve, hallucination et image virtuelle (ici kidnappée par la caméra du vidéaste et projetée sur des écrans dans certaines scènes, mais aussi les séances chez le psy dans la deuxième moitié du film) devient impalpable, et tous ses plans se mélangent pour amener le spectateur à s'interroger sur son rôle. Presque un voyeur, somme toute.

Mais c'est une évidence, Ferrara maîtrise son image dans les moindres détails. Usant de tout un jeu de parallèles et d'opposition, il crée une tension entre les deux moitiés de son film, qui s'apparente finalement autant à une boucle qu'à une longue chute. La jolie française du début est une brune aux cheveux courts, rebelle et désespérément sensuelle, mais c'est une blonde aux longs cheveux, douce et parfaitement saine qui se substitue à elle. Et tout le film se construit comme un paradoxe visuel pour illustrer la lente descente aux enfers de son personnage.


Et ce beau mélange, qui pourrait aisément ressembler à une grosse critique d'Hollywood, de la drogue et de l'alcool avec une jolie morale américanisante et dénuée de la moindre subtilité se transforme en une mécanique bien huilée, unique et efficace, qui pose le problème à l'envers. Parce que dans le film, tous les personnages sont déçus, cabossés, aigris, frustrés. Que ce qu'on voit, c'est pas des gens qui râlent et qui critiquent, c'est des gens qui se font abimer, qui se reprennent en pleine tronche les conséquences d'une machinerie dont ils ne sont que des engrenages parmi tant d'autres. Et nous aussi, d'ailleurs, quand on y réfléchit.
Je ne connais pas Abel Ferrara personnellement, mais je crois que le vidéaste lui ressemble. Déçu par le cinéma. Réfugié derrière des rêves à l'abri d'un mur d'images crues et sales... "La violence, c’est quand même terriblement graphique." avoue Ferrara. Et vu sa production, on ne peut pas vraiment lui donner tort, même si ça met mal à l'aise de voir les choses comme ça.

En fait, on est même refroidi. Tétanisé par le ruban d'une heure trente-huit de sado-masochisme sensoriel particulièrement malin qui vient de se dérouler face à nous, spectateurs parfaitement impuissants qui ne pouvant que découvrir, comme drogués à notre tour, l'implacable vérité. Cruel. Très cruel. Lucide, somme toute.

Quadrophenia, Franc Roddam (1979)


Plongeons dans les méandres vertigineux de l’adolescence au cinéma avec Quadrophenia, premier film plutôt méconnu du tout aussi plutôt méconnu Franc Roddam, de 1979, autrement dit bien avant qu’il ne se mette à écrire de pauvres émissions de télé-réalité pour les anglo-saxons. Le titre n’est pas étranger à ceux qui connaissent bien la discographie de The Who ; mais refaisons un peu d’histoire musicale si vous le voulez bien (à vrai dire, si vous ne le voulez pas, je m’en fiche, vous ne m’arrêterez pas comme ça, bande de sales fascistes).
La génèse
En 1969 paraît Tommy, premier grand chef-d’œuvre du groupe, orchestré avec les moyens du bord mais d’une main de maître par le leader incontesté : Pete Townshend, qui se sent d’humeur follement lyrique -et c’est tant mieux- depuis que son producteur lui a fait découvrir cinq années plus tôt les joies de la chanson de dix minutes. L’album est un énorme succès, mais Pete ne s’arrête pas là : Pete veut son second masterpiece, et ce n’est vraiment pas étonnant vu le tarin qu’il se paye.
Donc sort en 1973 Quadrophenia, le second opera rock (mais bon, c’est vite dit), un peu moins accessible que Tommy à cause des synthétiseurs mais tout aussi méritant. Dans les interviews, Townshend décrit le concept comme ‘la bande-son d’un film qui ne sortira jamais’ et envisage d’en rester là.
1975 est un grand tournant dans la carrière des Who : Tommy en concert marche bien. Tommy en tournée avec un orchestre symphonique marche bien. Il n’en faut pas plus pour Pete : Tommy deviendra un film, et il le devient la même année, sous les traits d’une comédie musicale franchement kitsch et ringarde sous la tutelle de Ken Russell, gros bonhomme qui s’emporte vite et jusqu’alors surtout célèbre pour ses téléfilms semi-pornographiques. A grands renforts de chorégraphies grandioses et de décors criards et agressifs, le film reprend ainsi les chansons de l’album quasiment mot pour mot pour raconter l’histoire du héros sourd-muet-aveugle qui redécouvre les intrigues de la vie.
‘Pour tous mes potes sourds muets aveugles du 93 !’
Mais c’est un échec. Townshend, complètement abattu, sombre dans l’alcool et l’héroïne, mais finit par se dire que lui aussi a droit à une seconde chance : Quadrophenia le film naît. Soyons clairs tout de suite : l’utilisation de la bande-son chez Roddam est radicalement l’inverse de celle chez Russell. Ici, et ça peut dérouter au premier abord, Roddam s’inspire de l’histoire de l’album, et ne le reprend pas : il romance l’histoire que l’album raconte, pour quasiment se débarrasser de la musique qui va avec. Le résultat est assez étrange, puisqu’en lieu et place de bande-son on se retrouve avec des bribes des chansons originales éparpillées ça et là, à peu près vingt secondes à chaque fois. C’est un parti pris assez déstabilisent, mais qui s’avère au final judicieux puisque l’histoire ne perd pas de sa crédibilité en n’envoyant pas d’acteurs faire des rondades arrières en chantant.
L’histoire, c’est celle de Jimmy, adolescent perdu au plein début des années soixante, c’est son quotidien, ses aspirations ou au contraire son manque d’aspirations. Réglons deux points : de un, les acteurs ne sont pas bien géniaux. Ils sont très corrects, Jimmy est même parfois touchant, mais ça reste très superficiel, et même si leur accent cockney est toujours fort rigolo, ça ne casse pas des briques. Le chanteur Sting fait une apparition (en lieu et place de Keith Moon, batteur du groupe tristement décédé un an plus tôt) et il ne fait pas grand-chose pour relever le niveau. De deux, pas de grande originalité dans la manière de filmer, oh non. Le format dans lequel je l’avais vu faisait penser à un téléfilm, avec la qualité de l’image, donc je ne m’approfondirai pas sur ce point ; mais les plans et cadrages ne sont vraiment pas singuliers, et à part quelques scènes marquantes (la bagarre dans le bar), tout est classique et sans prétentions – je veux dire, bien, et rien d’autre. (Mais alors, dites-donc, pourquoi j’en parle si je le trouve aussi moyen ?)
Parce que Franc Roddam est mon cousin
Pour l’histoire, tout simplement. Le film a su très bien retranscrire les aspects du portrait que dressait Townshend, et même aller plus loin que ça.
Tout d’abord, Quadrophenia le film, plus que Quadrophenia l’album, voulait être le film de toute une époque : celles des mods. Ces mods, les fashions de l’époque, qui ne vivaient que pour se battre, s’acheter des vêtements de marque et les Vespas les plus customisées possibles. Voilà les mods, les pré-punks, ceux auxquels appartenaient les Who, ceux à qui est destiné ce film grandement nostalgique. C’est leur quotidien qui nous est montré, la drogue, les bars, les boîtes de nuit, leur musique, et surtout, leurs bagarres avec leurs pires ennemis : les Rockers, ces s*lauds qui ne connaissent qu’Elvis et osent s’habiller en cuir. Parmi les scènes les plus mémorables, ce sont justement les reconstitutions de ces bastonnades dont l’ampleur absolument impressionnante est très fidèlement retranscrite. Quadrophenia c’est ça, c’est l’époque de ces deux clans qui s’affrontent sans merci à coups de chaises et de tessons de bouteille, c’est la violence sans merci qui s’exerce pour l’amour de la musique et l’envie de faire suer son monde, surtout les parents. Ce film, c’est le film d’une génération. J’avais lu une critique il y a de cela quelques années qui descendait gravement le film et qui disait notamment ‘Quadrophenia, c’est My Generation [premier single des Who] rallongée sur deux heures’. Il n’avait pas tort, dans un sens : c’est exactement ça, des jeunes qui ne veulent pas vieillir ; l’idée est juste un peu plus élargie (c’est pour cela que je m’aventurerai à dire que sur certains points, Quadrophenia est comparable à Trainspotting ; attention, je ne dis pas qu’ils se valent, loin de là, mais le film de Danny Boyle s’intéresse lui aussi à une génération de jeunes bouffés par les drogues, la délinquance et la musique – disons gentiment que Boyle s’en sort mieux).
Mais surtout, avant tout chose, Quadrophenia est un film sur l’adolescence. La jeunesse perdue et rebelle, celle qui souffre parce qu’elle ne trouve pas sa place dans la société, parce qu’elle n’aime pas l’avenir tout en en ayant peur. C’est l’âge où l’on se mange les premières désillusions amoureuses, où s’intégrer et se faire des amis devient aussi important qu’étouffant. C’est l’âge où l’on a besoin de repères sans l’admettre, où l’on se tourne vers les drogues, comme ça, pour essayer. Où l’envie de mourir est une solution envisagée, même très envisagée dans les moments difficiles. Quadrophenia (ne nous leurrons pas, c’est grâce à ce gros pif de Townshend) aborde tous les thèmes qui font de l’adolescence une période difficile. C’est bien pourquoi je l’aime beaucoup : peut-être est-ce à cause de mon âge, mais il me touche beaucoup, il me parle, il me rappelle des instants vécus. Peut-être qu’en vieillissant je me détacherai de toutes ces impressions, et peut-être que d’ici dix ans je ne ressentirai absolument plus rien en le voyant ; en attendant je veux pouvoir encore profiter de tout ce qu’il procure, continuer à me sentir mal en voyant la fin et soutenir ce Jimmy, parce qu’il aurait très bien pu être moi. Comme il aurait très bien pu être n’importe qui d’autre ; c’est la force majeure du film : il raconte en toute justesse, et on le comprend.

jeudi 27 novembre 2008

Ghettochip Malfunction (Hell Yes EP)


Alors regarde
Regarde un peu
Tout c'qu'on peut faire
Quand on est deux.
Outre certainement une coquine allusion à la perpétuation de l'espèce, le sympathique parolier et père de cette tranche de lyrisme devait certainement citer avec une finesse toute appréciable l'époustouflant travail du duo d'auteurs un peu dérangés à l'origine de Ghettochip Malfunction (Hell Yes EP) (ou alors je n'ai absolument rien compris).
Remontons un peu aux origines de ce projet avant d'en parler à proprement parler. Un bon soir de Juin, Mark Williams, un jeune homme ambitieux, salarié d'une prestigieuse maison de disques, Interscope Records, choppe tout au fond de ses synapses tremblants ou de ceux de son superbossss une idée mégacouille: Holyhell, engageons genre une paire d'artistes over pas connus genre underground, et filons-leur style un peu de fric pour qu'ils nous remixent deux-trois morceaux de notre Beck-champion national. L'originalité lui frétille dans la boîte à sueur comme un Magicarpe en phase de métastase, et pianissimo il s'empresse d'envoyer un fort joli e-mail plein de bonnes promesses d'avenir à Andy Bollas, leader d'un obscur groupe d'Illinois.
Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'Andy Bollas est un putain de taré; le genre à organiser des combats de coqs le week-end et à se défoncer au sirop pour la toux. Son groupe, 8-bit, est tout bonnement une pure bizarrerie 100% underground, formé de gens qui se réclament gangsta-rappers et qui s'habillent en robots quand il s'agit de monter sur scène. Alors le mec, un peu rebelle toujours bourré, quand il lit ce mail snobinard, il n'hésite pas un instant à s'affirmer comme représentant de la contre-culture des robots et il répond à cet affable bureaucrate d'un simple et copieux "Va te faire mettre".
Mark est certainement un peu déçu, sur le coup, de lire quelque chose d'aussi vindicatif dans sa boîte à courriel; mais sa formation lui a appris à être un battant, un Inner boss, un master de la persévérance, alors il renvoie un second message, softer n softer, et Bollas lui propose une seconde fois d'avoir recours à quelque activité dégoûtante et contre-nature.
Et d'un coup, BAM, Bollas percute que la truite qui lui envoie du miel depuis deux semaines ne travaille pas pour n'importe qui : pour BECK. Champion des champions. Ni une ni deux, il invente une quelconque excuse à Marky et lui et son groupe vont serrer le panard suintant le génie de l'idole de l'indie pop. Un autre foufou, Paza Rahm, ne fait pas trop d'histoires quand on lui demande et vient se coller au projet : Hell Yes EP est né.
C'est charmant toutes ces anecdotes, mais Hell Yes EP, caisse donc ? Prenons Beck. Beck Hansen ou Bek Campbell, comme nous voulons ; le vrai Beck dans toute sa splendeur, de la richesse instrumentale, de la variété de styles et une voix monocorde et ennuyeuse (non, je n'aime pas des masses Beck -à vrai dire, la seule chanson du bonhomme que je connaisse et qui me plaise, c'est Girl). Prenons ça et ne gardons que la voix de Beck. Oui, je sais, triste, hein. Bien. Gardons cette voix telle quelle et ajoutons autour des samplers 8 et 16-bit. Mais si ! Tous ces petits sons qui ont bercé notre jeunesse Nintendo: la musique de Gameboy ! Celle-là même, inimitable, purement électronique, qui berçait avec tendresse format BASIC n'importe quelle bonne partie de n'importe quel jeu digne de ce nom, style Super Mario Land 2 (rah, l'arbre à corbeau !), ou euh, Super Mario Land 2 (et l'automate géant ! Chauds, les 3 porcs, quand même). Bien, maintenant, ces samplers, assemblons-les du style originalement jusqu'à en faire des harmonies richement complexes à en faire péter les beatboxes. Voilà : ça donne quatre chansons.
Oui, bon, il est court, Ghettoship Malfunction; mais c'est normal, il était prévu pour un EP, il est resté un EP. C'est limite dommage qu'il soit aussi court, parce qu'honnêtement -mais ça dépend peut-être de ce que l'auditeur connaît de sa Gameboy-, il est très bon. C'est un peu le concept de l'intro de Girl, justement (la chanson est reprise sur le disque, avec Hell Yes, Que Onda Guero et E-Pro), qui est poussé à l'extrême, et ça fonctionne très très bien. D'ordinaire, je ne suis pas adepte de ce genre de remixes, ou même des remixes en général, mais le fait est que la voix du monsieur s'accorde tout à fait avec le son purement vintage des 8-bit et de Rahm, et surtout Rahm : son boulot sur les deux dernières chansons est à mon goût fichtrement plus original et maîtrisé que celui de ce sacré rebelle d'Andy Bollas. Les mélodies chez lui prennent une complexité et principalement une place à part entière, suffit d'écouter l'intro du remix de Girl, alias Bit Rate Variations in B Flat; le genre de trucs qui donne envie de ressortir ses cartouches pour retrouver d'où viennent tous ces petits sons différents qui sonnent fichtrement familiers. Mais attention, le travail d'8-bit n'est absolument pas à négliger; il est certes un peu plus classique, mais il est très bon, très bien pensé, et les mélanges roulent impecc (même si Gameboy and Homeboy alias Que Onda Guero est un peu faible).
En somme, ouais, un bon quoiqu'un peu frustrant EP, certainement à écouter ne serait-ce qu'une paire de fois pour en apprécier toutes les subtilités, pour peu qu'on soit un minimum fan du genre (et encore faut-il le trouver, j'ai eu un mal fou personnellement). Et puis si vous n'aimez pas, bon, au pire, il vous reste l'éther.
EDIT: Allez, je suis grand prince, merci Google.

La Neuvième Porte, Roman Polanski (1999)

Prenez Roman Polanski, qu'on ne chasserait pas du palmarès des plus grands réalisateurs de sa génération. Sous sa caméra charnelle et intrusive, placez Johnny Depp, qu'on ne chasserait pas du palmarès des plus grands acteurs de sa génération. Ajoutez à cela le complexe et prenant Club Dumas d'Arturo Perez-Reverte comme base de scénario, et ouvrez de grands yeux pleins d'étoiles.
Et soyez déçus. Parce que c'est difficile de faire autre chose.

Dans le livre de Perez-Reverte, l'intrigue s'organise en deux branches parallèles. La première concerne le manuscrit inédit d’un chapitre des Trois Mousquetaires. Elle confronte le héros, Dean Corso, aux équivalents humains de 'Milady', sous les traits de Liana Telfer, et Rochefort, sous l’apparence d’un garde du corps balafré. La deuxième tourne autour du “Livre des Neuf Portes", sur lequel Polanski centre -sans trop y croire- son film.

En quelques mots, donc, le scénario (un peu fruste) suit l'histoire de Dean Corso, un spécialiste de livres rares et anciens, qu'un commanditaire féru de démonologie charge d'examiner les trois seuls exemplaires existants d'un manuel sataniste du XVII° siècle. Mais progressivement, l'expert se heurte à des personnages de plus en plus sombrement atypiques, et voit se dessiner l'objectif véritable de cette étrange mission. Et commence à son tour à "courtiser" le Diable (si ce n'est l'inverse...?).

Objectivement, ça ne rayonne pas d'originalité, mais on est malgré tout content de se lancer dans ce labyrinthe en rouge et noir. Cependant, au bout d'une heure de film, force nous est d'admettre que malgré le duo Depp/Polanski en fil d'Ariane, on s'essouffle, et l'envie de retrouver la profondeur qu'on les sait capables d'insuffler à leurs prestations grandit en même temps que le scénario s'enfonce dans un amalgame de clichés et de facilités stylistiques (que ne renierait pas un Joël Schumacher, c'est triste à dire...).

Cependant, avec le recul, je le concède, on conçoit en quoi c'est un film à re-voir. Parce qu'il est complexe, pleins de tiroirs verrouillés au premier abord, comme Polanski sait si bien le faire. Mais le problème, c'est que la première vision ne donne pas envie de perdre deux heures dix à nouveau pour découvrir qu'Emmanuelle Seigner toute nue devant un vieux château "c'est comme sur la gravure !!!!" (parmi autres références plus subtiles, mais c'est pour dire).

Bon, malgré tout, il serait bêtement catégorique de ne retenir aucune qualités à ce film, doté par exemple d'une bande-originale et de décors fort sympathiques (s'ils ne suffisent malgré tout pas à soutenir les facilités scénaristiques). Parce qu'objectivement, c'est un film dans lequel on rentre, facilement, même ; le début (chez les particuliers, quand Corso achète l'édition de Don Quichotte, entre autres !) place la barre haut et laisse augurer le meilleur pour la suite. Le problème de La Neuvième Porte est plus complexe : c'est un film où l'on rentre, mais c'est surtout un film dont on sort. Et lorsqu'on voit Depp/Corso-l'expert-en-livres-rares-et-anciens foutre négligemment le manuel du XVII° sur une vieille photocopieuse, on arrête définitivement de croire à la "diablerie".

Pas chauvine pour deux sous, je me permet de glisser un commentaire sur Emmanuelle Seigner, dont la prestation fut -et je m'en étonne- encensée. Un personnage attendu, facile, et caractérisé par une absence latente d'émotions concrètes, on n'appelle pas ça une "performance d'actrice". On appelle ça un "point supplémentaire sur la liste de clichés sataniques agglomérés pour l'occasion", tout au plus. Intéressant parallèle à faire avec Cristabella (Connie Nielsen) dans l'Associé du Diable (Taylor Hackford, 1998 -étrangement contemporain... Phénomène de mode ?-), une paire de succubes modernes dont on filme les yeux pendant tout le film et la nudité, dans un final aussi enflammé que désespérément attendu.


Moralité : si Polanski et Depp ne croient pas à ce qu'ils nous racontent (et qu'ils ne parviennent du coup pas à nous en convaincre), il leur reste leur talent de metteur et scène et d'acteur pour nous faire tenir jusqu'à la fin de ce film trop facile, qui ne fait que nous montrer des personnages auxquels on ne s'attache pas, animés d'obsessions dont on se moque éperdument.
Pour un film du genre, on est en droit d'être atrocement déçu par le réalisateur du troublant Rosemary's Baby, non ?

mardi 25 novembre 2008

Easy Rider, Dennis Hopper (1969)

Quand on y pense, ça fait bizarre d'entendre Dennis Hopper, LE Dennis Hopper qui vous dit avant une projection du cultissime Easy Rider "vous savez, moi, la moto, j'aime pas ça, hein". Sur le coup, ça choque, même. Ca arrache un sourire à certains, un franc rire à d'autres, mais en tout cas, ça ne laisse pas une salle entière de fans indifférents.

Et pourtant. La réalité est bien différente du mythe de Hopper-le-motard-chevronné qui fait un film sur la condition des bikers marginaux comme lui. La réalité, c'est simplement qu'à Hollywood dans les années 60, tous les réalisateurs commençaient comme ça. LE film de bikers, diffusé uniquement en drive-in (cinéma de plein air où l'on restait en voiture, N.B.), réalisé avec le budget le plein réduit possible, grâce au matériel prêté par la AIP. Et de Lucas à Spielberg en passant par Coppola père, ils en ont tous un (ou plus ! dans leur filmographie.

Mais malgré tout, Easy Rider s'en est mieux sorti que la plupart de ces road-movies de série B (prix de la meilleure première œuvre au festival de Cannes 69 !). Alors chers amis, en route (si vous me permettez l'expression, ahah) pour un petit brin d'histoire. Appelez ça trivialement "De la série B au film culte, genèse d'Easy Rider" si ça vous chante, mais je ne crois pas qu'un titre aussi bébête dans son éloquence soit de mise. Après tout, Easy Rider, ça fleure bon le chef d'oeuvre, mais ne nous voilons pas la face, il flotte tout le long un délicieux parfum de drive-in et de contre-culture. C'est comme un de ces westerns vieillots qui pourtant ne prennent pas une ride, mais avec des chevaux tout en métal.

L'aventure commence à trois heures du matin, quand un certain Peter Fonda téléphone à son ami Dennis Hopper pour lui dire que les patrons de la AIP sont d'accord pour financer un film qui raconterait l'histoire de deux motards qui passent de la drogue au Mexique pour pouvoir aller en moto jusqu'à la Nouvelle-Orléans pour Mardi-Gras. Fonda le produirait et tiendrait un des rôles principaux, tandis que Hopper, non content d'assurer l'autre rôle, prendrait en charge la réalisation. Ce dernier, tenté par la caméra depuis La Fureur de Vivre (son premier rôle en tant qu'acteur), accepte, enthousiaste. Après une dizaine de jours de discussions intenses, les deux compères tirent une intrigue structurée et entraînent sur la route une petite équipe de débutants passionnés. Et à peu près 20 mois plus tard (comptez un an et demi pour le montage : Hopper étant tout le temps devant la caméra, il a dû visionner à la fin du tournage tous les rushes en une fois, soit 32 heures d'images, et refaire tout le montage ensuite !) naissait Easy Rider, tel qu'on le connaît aujourd'hui.

Et aujourd'hui, ce qu'on connait, c'est un film inoubliable, témoin d'une époque, d'une génération, d'un mode de vie désormais révolu (et objectivement, relativement impensable dans notre société actuelle...). Pour enjoliver et utiliser tout plein de mots qui font rêver, Easy Rider, c'est les hippies, la drogue, les motos chromées, les grands espaces américains, le 'free love', le Carnaval, le cuir et les feux de camp, mais pour le dire simplement, Easy Rider, c'est la liberté. C'est un hymne au mouvement, à une vie sans attaches, faite de rêves et d'idéaux, et -osons le dire- c'est une véritable bouffée d'oxygène.


Et dans la réalisation, on sent de la même façon ce besoin de rupture, de nouveauté, cette marginalisation Hopperesque (si vous me passez l'expression). "J'étais persuadé à l'époque qu'un film n'aurait pas la Palme d'Or avec des fondus", nous dit Hopper. Alors dès les premières scènes, on voit se construire des montages secs, qui se succèdent rapidement (pensez à la scène où Fonda jette sa montre !). Pas de fondus, donc, juste grands espaces sur grandes espaces, s'enchaînant avec une fluidité étonnante. On a presque l'impression d'un panoramique qui se déroule sous nos yeux, et nous, petits motards, on tourne la tête de gauche à droite à chaque nouveau plan. En bref, jusque dans les moindres détails du montage, on a l'impression d'y être. Réflexion personnelle au passage, on a l'impression d'être avec eux sur une moto, mais on a aussi l'impression de prendre du LSD avec eux. Ceux qui connaissent le film n'ont -je pense- pas pu rester indifférent face à cette scène (mais je ne m'apesentirais pas là-dessus, je crois que c'est une scène qu'il faut voir 'vierge' de toute attente ou préjugé quelconque)...

En bref, Easy Rider est en tous points une formidable aventure cinématographique (qui fait démarrer la carrière de Hopper/réalisateur sur les chapeaux de roues, ahah).

Et on en ressort estomaqué. Pendant 94 minutes, on a la sensation d'exister, nous aussi, à travers le 'trip' de Wyatt/Fonda et Billy/Hopper. Et quand ils roulent, on roule avec eux. Quand ils fument, on fume avec eux. Quand ils rient, on rit avec eux. Quand ils vivent, on vit avec eux. Et à la fin, ce qu'on a construit pendant tout le film, cette bulle d'oxygène qui sent bon l'huile, le cuir chaud et la marijuana, elle nous reste en travers de la gorge. Parce que ça y est, on sait ce que c'est la liberté, on a un début de réponse à cette obsédante question humaine. Et même que ça a une drôle de saveur.



Découvrez Steppenwolf!

mercredi 19 novembre 2008

Note du 13 Juin 1954

Ah ! Bonjour à tous, les enfants. Je sirotais tranquillement un oeuf cru dans mon café et voilà que je me rappelle qu'avec toutes ces murges mémorables que je me prends depuis deux semaines et demi la Bienfaisante Archive de la Décence et du Bon Goût Cutlurel n'avance pas dans l'excès. Rectifions le tir, mes amis, et donnez-vous un blâme pour n'avoir pas pris l'initiative de lire un livre en mon attente (relativisons, au moins vous n'avez pas lu d'heroic fantasy).
Et me voilà, donc, fier et turgescent, armé d'une machine à écrire et d'une bonne dose de vin rouge pour vous faire part de mes nouvelles découvertes aussi époustouflantes qu'ignorées par Thom Robb. J'aimerais avant toute chose vous relater une expérience tout à fait saisissante qui m'est survenue lors de mes premières archaïques recherches dans le domaine, et qui ont certainement déterminé ma conduite présente et modifié à jamais le cours de mon existence aussi glorieuse que complètement défoncée à l'éther.
J'avais tout juste vingt-huit ans, à l'époque, rentrant à peine d'Europe où j'avais passé un très bon séjour, richement linguistique et parfaitement dénué de génocides. La vocation scientifique n'était pas encore tout à fait apparue en moi, et je tâtonnais encore lorsque je fus intégré au Laboratoire Hermann Planquion comme technicien de surface. Une grande et enrichissante époque, je dois l'admettre ; la confiance que tout le service plaçait en moi me confortait et me laissait pleinement l'occasion de voler des stéthoscopes pour les revendre sur le marché noir, ce qui m'autorisait à arrondir particulièrement grassement mes fins de mois tout en développant avec goût mes acquis spirituels (et mon mobilier).
Toujours fut-il que cette période faste restera à jamais marquée dans les annales de l'insondable grâce à l'événement que je viens vous conter aujourd'hui. Outre sa faillite, engendrée par des fuites de matériel trop importantes (moi même, ayant mené l'enquête, je fus totalement dépassé par ce mystère), le laboratoire fut théâtre pour un soir d’une découverte qui allait bouleverser toute l’histoire de la science moderne licencieuse.
A l’époque, j’avais encore un goût prononcé pour l’onanisme, et ma psyché avide de nouvelles sensations débordait d’inventivité quant au lieu et aux conditions de mon loisir tout à fait personnel. Je me plais toujours à rappeler avec fierté à mes collègues que je fus certainement le premier à inaugurer l’ensemble des cabinets de toilette et les compositions florales du second étage ; ce qui suscite toujours - croyez-le bien - l’admiration et le respect de mes pairs. Ce soir si spécial, j’avais décidé de m’installer sous l’accélérateur de particules du troisième sous-sol – j’appréciais particulièrement son agréable système d’air conditionné et le revêtement du sol en polyester, confortable pour la plante des pieds. Je me souviens de la scène ; j’étais tout à fait seul, et pour l’occasion j’avais choisi de m’adonner à la luxure mentale et mathématique avec Ingrid Bergmann, dont j’avais apprécié le dernier film (une émouvante tragédie teintée de surréalisme dégoûtant).
La combinaison des facteurs fut particulièrement fructueuse, et le doux plaisir et la grisante satisfaction du devoir accompli me firent choir de mon siège, activant par la même occasion la machine qui, encore chaude, se mit immédiatement en marche.
Telle ne fut pas ma stupeur, mes amis : je croyais juste que je m’évanouissais encore, une situation récurrente dans de pareils moments ; mais la vérité était tout autre, car je compris que la lumière blanche venait du dessus de ma tête. Je semblais pris dans une fureur électrique et chatouillante, et malgré tous mes efforts il me sembla bien que j’étais littéralement coincé dans le halo de l’accélérateur, en proie à d’étranges réactions. Je restai donc là, à tenter vainement de passer ma main au dehors pour au moins récupérer ma ceinture ; mais la science semblait en décider autrement, et n’en faire qu’à sa guise.
Bientôt, tout se mit à trembler autour de moi, et les murs, les meubles et le sol s’effondrèrent, pour me lancer dans de noirs ténèbres déchirés par un glacial vent. Tout avait disparu ; j’étais seul, avec ma machine, dans l’immensité du vide. Et soudain il y eut comme des explosions gigantesques et sans secousses tout autour de nous, et nous entrâmes dans un tube infini, chargé d’images mouvantes et évanescentes. Jusque-là, mes amis, je pouvais me croire défoncé à l’eau écarlate ; mais jamais je n’étais allé aussi loin dans l’exploration spatiale. Je savais maintenant que j’étais dans un tout autre endroit.
La machine, totalement indépendante, émit un bruit étrange, et pivota, tandis que la lumière s’intensifiait, jusqu’à me forcer à fermer les paupières.
Les rouvrant, je n’étais plus dans le tube ; je n’étais pas non plus revenu dans le labo. J’étais dans une sorte de cabinet de toilettes, que je n’avais jamais vu auparavant. Je restais bien hébété une dizaine de minutes avant de me décider à bouger. Par réflexe, je tirai la chasse d’eau et poussait la porte qui s’offrait à moi, puis quittai la pièce toute de céramique couverte.
Croyez-moi, mes amis, je ne suis pas un affabulateur ; je veux bien admettre quelques tendances pyromanes mais je n’ai jamais tenté autre folie. Croyez-moi sur parole ; en ouvrant la porte des toilettes, je découvris que j’étais dans un restaurant chinois. Je n’ai rien contre ces gens-là, excepté leur cuisine et leur système politique, mais je décidai de ne pas m’attarder trop longtemps parmi les serveurs et les dragons en plastique, surtout que j’étais toujours sans de quoi m’attacher le pantalon. Mon esprit de déduction me laissait penser que je devais être simplement dans le quartier jaune de quelque grande cité de nos Pères Fondateurs ; je sortis et je vis qu’il n’en était rien. Partout, des chinois ; partout, leur écriture si caractéristique : j’avais atterri en plein chez les maoïstes.
Connaissant plus leur réputation de mangeurs de chiens que leur idiome, je ne vis que la fuite comme solution à mon problème, et me mis donc à courir le plus vite que je le pouvais. Je volais un poulet sur un étal, au passage ; je craignais de devoir rester dans cet état plus longtemps que ce ne fut en réalité. En effet, alors que je m’apprêtais à assommer un adolescent pour lui prendre son portefeuille, je ressentis de nouveau un bourdonnement, et bientôt je me retrouvais une nouvelle fois aveuglé par une vive lumière blanche ; lorsqu’elle perdit en intensité, j’étais de nouveau assis sous l’accélérateur de particules, bien à sa place dans le laboratoire.
Que s’était-il passé ? Je ne pouvais dire, car sur le coup, l’unique pensée intelligente qui me vint fut celle d’aller vomir ; chose que j’exécutai gracieusement dans le bécher le plus proche –mais c’est une autre histoire. Quand je revins pleinement à moi, j’avais encore l’animal dépecé dans la main, et pas de ceinture. Je n’avais pas rêvé ; quelque chose de grandiose, de puissant, aux retombées gigantesques venait de se produire. Je venais, au cours d’une banale soirée de balayage, de voyager à travers l’espace et, comme je m’en apercevrais plus tard, le temps. Tous mes sens étaient bouleversés ; qui pourrait me croire ? D’infinies portes s’ouvraient désormais à moi, et je considère encore aujourd’hui cette soirée comme la plus fabuleuse de toute mon existence. Le seul bémol à tout cela était qu’il régnait dans la pièce une intense odeur de flétan ; mais ça n’avait guère d’importance sur l’instant. Je découvrirai au cours des nombreuses expériences qui succédèrent à celle-ci, pionnière du mouvement, que la faille spatio-temporelle était générée par l’alchimie inattendue de l’accélérateur et de mes fluides, propriété unique qui n’avait jusqu’alors jamais été révélée – je ne parviendrais cependant jamais à résoudre le problème de l’odeur de poisson.
Voilà, mes chers amis ; vous savez tout du pourquoi et du comment, vous comprendrez désormais comment les critiques miennes et celles de mes collègues parviennent à se porter sur des œuvres qui ne sont même pas encore sorties à notre époque. Point de mensonge ; juste du génie scientifique. La technique s’est un peu développée depuis, mais les résultats probants sont toujours là, imperturbables. J’espère que vous comprendrez mieux désormais le bienfondé de notre œuvre ; que vous me pardonnerez mon inactivité récente ; que vous me laisserez profiter encore un peu de la pérennité du foie d’une vive lueur d’esprit que je suis, telle une torche incandescente et noblement éméchée, guidant les foules ignares dans l’insondable obscurité de son siècle.

lundi 10 novembre 2008

Leçon de cinéma : Hopper par Hopper

Dans le cadre de la rétrospective 'Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood' à la Cinémathèque Française, j'ai eu la chance d'assister (malgré de nombreuses péripéties que je n'étalerai pas ici parce que c'est pas le but et que ceux qui sont susceptibles d'être intéressés savent déjà tout, ahah.) à la Leçon de cinéma de Dennis Hopper.

Donc, petit rappel au cas où. Dennis Hopper est ce qu'on appelle un "artiste touche-à-tout" : à la fois acteur, réalisateur, peintre, photographe et collectionneur, il est emblématique de la Contre-Culture américaine. Parmi les chefs d'oeuvre que compte sa filmographie, je ne citerai que la Fureur de Vivre (de Nicholas Ray, avec James Dean, en 1955), Easy Rider (son premier film, avec Peter Fonda, en 1969), Apocalypse Now (de Francis Ford Coppola, avec Marlon Brando -entres autres- en 1979), Blue Velvet (de David Lynch, avec Isabella Rossellini, en 1986), et tant d'autres films qui ont profondément marqué l'histoire du cinéma. A ce titre (ces titres, ahah !) je crois qu'il n'est pas excessif de dire que nous avons affaire à un des personnages majeurs du cinéma de la seconde moitié du XX° siècle (et si on se centre uniquement sur les USA, là, mon vieux, ça ne fait plus le moindre doute). Rien que ça.

Et pour le coup, le nom de "leçon de cinéma" était foutrement bien adapté. En deux heures, Hopper nous a purement et simplement 'appris son cinéma'. Appris à le regarder, à la voir un peu avec ses yeux, certes, mais aussi appris son histoire, et la genèse de cet Hollywood pris au piège de la Contre-Culture.
Et on se prend au jeu, d'Easy Rider à Apocalypse Now, de l'envie de s'évader au besoin de retourner vers un 'centre' symbolique, on suit Hopper, enthousiaste et communicatif (sans doute un peu trop au goût de son interprète, d'ailleurs...), qui nous raconte "son" cinéma.

Après un extrait du générique d'Easy Rider, le désormais cultissime 'Born to be Wild' de Steppenwolf, le cinéaste nous parle du rapport à la musique dans ses films. Parce que dans ER, la narration naît bien plus de la musique que de l'image en elle-même. A l'époque, Hopper est révolutionnaire : la bande-originale de son film n'est pas réalisée pour le film, par un seul et unique compositeur, comme c'était l'habitude. L'équipe du film est simplement allée trouver les artistes qui jouaient les morceaux qui les intéressaient et leur demander l'autorisation (ce qui revenait du coup très peu cher !). Ainsi, ils sont profondément ancrés dans le film et collent à merveille à chaque endroit où ils interviennent. Et un mot sur l'aventure des castings du road-movie, réalisés sur place par le directeur de casting qui partait toujours en avance du reste de l'équipe. Directeur de casting dont les choix d'acteurs semi-professionnels de théâtre débectaient souvent Hopper. Parce qu'en effet, contrairement à ce qui se fait beaucoup (dans le cinéma français, pour ne citer que lui), il préfère le brut de décoffrage, l'Humain avec un grand H, celui qu'on trouve dans le lieu du tournage, occupé à faire ce qu'on voudrait qu'il fasse devant notre caméra.

Deux ans après, en 1971, Hopper réalise The Last Movie, l'histoire d'un acteur qui reste sur un plateau de tournage déserté. Le scénario sonne comme très pessimiste sur l'avenir du cinéma, et le film a rencontré quelques difficultés à sortir. Cependant, ce deuxième film est très important dans la carrière de Hopper. Il correspond en effet à son premier film écrit, et propose une réponse à un questionnement réel du cinéaste : que deviennent après le départ d'une équipe de tournage les lieux bouleversés par l'implantation des décors ?

Ensuite, avec un extrait de Tracks (de Henry Jaglom en 1976), Hopper développe sa face "acteur", jusque là un peu mise de côté. Il nous raconte ses années de formation, et comment un tiers des élèves échouait et un autre tiers séjournait régulièrement en hôpital psychiatrique. Mais pour notre plus grand plaisir (et enrichissement personnel), Hopper fait partie du tiers qui a survécu, et brillamment réussi pour pouvoir aujourd'hui nous enseigner cette méthode de la mémoire émotionnelle, méthode qui soit-dit-en passant peut sembler couler de source mais qu'il a très bien su exprimer et faire comprendre (à moi, en tout cas, ce qui est déjà plutôt respectable).
Alors les enfants, on se relaxe. Parce que c'est la clef, être détendu, frais et dispos. Et rappeler à soi le souvenir d'une émotion particulièrement, à travers ses cinq sens. Le but est de retrouver les sensations physiques que l'on ressentait lorsqu'on a été traversé par l'émotion en question, pour la faire revivre "matériellement". Et avant d'entrer au plateau, il faut "ranger" ce ressenti dans sa mémoire, pour pouvoir y faire appel en retrouvant ces sensations physiques. Ainsi, on peut jouer une scène où on rigole, toussa, et brusquement pouvoir se mettre à pleurer quand notre personnage apprend la mort de son père (pour reprendre l'exemple cité par Hopper). Bon, sur Internet, difficile de vous faire une démonstration comme nous en avons eu, mais en tout cas, je vous garantis que ça marche très bien -en tout cas, avec lui, c'est saisissant-.

Et pour finir, quelques mots sur Apocalypse Now, et Marlon Brando. Parce qu'en effet, tous ces acteurs mythiques que réunit Coppola n'avaient-ils pas ce même désir, au delà de rejoindre le Colonel Kurtz, de rejoindre Marlon Brando, osons le dire, le plus brillant acteur de sa génération, et l'icône éternelle de l'acteur américain, qui à par la qualité de son jeu et de ses méthodes influencé tout un large pan du cinéma ?

Dennis Hopper répond oui.

Introduction.

-ENREGISTREMENT PUBLIC #1 DE SIR VERMOUTH SBORB, FONDATEUR DES LABORATOIRES JAVEL, 1957-

"Avec une trompe à la place du... Hm euh... Hm ? Ca enregistre là ? Oh, damnée machine, on ne s'y fie pas. Eh bien, bonjour, mesdames, messieurs, je suis le Professeur Vermouth Zborb, éminent chercheur et surtout pas criminel de guerre et je tiens ici-même à travers cet émetteur basse-fréquence à vous faire une annonce publiquement spéciale et spécialement publique pour vous présenter la nouvelle mouture de mon projet hautement culturel et culturellement haut.
En effet, chers amis, auditeurs, auditrices, nous voilà à une période charnière de notre existence collective, celle du cap de l'incertitude, des vents tournants de la déraison, et c'est pourquoi il est nécessaire que nous le passions ensemble si nous voulons le passer sans heurts ni procès. Nous-autres, français, allons mal, très mal ; nous sortons d'un conflit planétaire auquel j'ai si peu participé et nous voilà à l'aube d'un nouveau temps de conquêtes, d'espérances. La cutlure est à son plus bas, mes chers amis , vous êtes ignares, et c'est quelque chose que je ne puis totalement tolérer : voilà pourquoi je suis ici. Il est temps, mes amis, de donner au monde la rayonnance dont il a besoin, tel le coup de savate nécessaire au cheval pour le faire avancer. Mes amis, voilà l'ère des Laboratoires Javel, l'ère de la cutlure et du savoir. Finie, l'esbrouffe ! Ici, aux Laboratoires Javel, nous oeuvrons présupposément jour et nuit afin de vous offrir A VOUS le meilleur de la cutlure, la finesse et le bon goût au sein des richesses du monde...
Ici, aux Laboratoires Javel, mes associés et moi-même travaillerons sans relâche à vous faire découvrir ce qu'il y a de plus beau, ce qu'il y a de plus noble dans ce panel florissant que sont les oeuvres de notre monde moderne. Restez à l'écoute, chers amis, et n'oubliez pas qu'ici, et dès maintenant, quelque part sous terre, des hommes comme vous et moi (surtout moi) contribuent à faire des hommes comme vous et moi (surtout vous) de véritables Hommes Modernes. Fin de la transmission. Oh, en passant, je tiens à préciser que je n'ai pas participé aux incidents de Vladilovskov en 1943."

Mon grand-père fut arrêté deux semaines plus tard pour conduite en état d'ivresse et son projet ne vit jamais le jour ; mais c'est en mettant la main sur la clé de ses anciens locaux aujourd'hui désaffectés que j'ai découvert cet enregistrement, et la montagne d'informations que les tiroirs de ses archives renfermaient.
En souvenir de mon grand-père Vermouth Zborb, ouvrier de la mémoire de notre siècle, j'ai décidé de recenser et de publier sur ce blog qui est dédié à son entreprise méticuleusement tous ses travaux et ceux de ses collaborateurs et collaboratrices; afin que les enfants de demain ne soient jamais ignorants des travaux de leurs pères (de leurs pères, d'hier, je veux dire).
-Roquoplin Zborb Jr, le 10 Novembre 2008, Centre de Détention de Montargis.