lundi 26 janvier 2009

L'Echange, Clint Eastwood (2008)

Plongée progressive d'une ville à une maison, d'un élégant noir et blanc à un univers de couleurs feutrées. En un simple travelling, une apparemment insignifiante trentaine de secondes, Eastwood, déjà, nous dit tout de cet Echange : le passé, contemplé en temps que spectateur, mais une volonté d'immersion totale, de nous montrer les choses comme tout un chacun aurait pu les voir à l'époque, et quelque part, dans cette descente lente et d'une précision chirurgicale jusqu'au premier plan sur l'héroïne, il nous parle déjà de l'écrasante fatalité qui va littéralement s'abattre sur cette jeune mère.


L'histoire, en effet, s'inspire d'un fait divers réel. Il s'agit donc de la disparition d'un petit garçon de neuf ans, dans le Los Angeles de l'entre-deux guerres (j'insiste, ce n'est pas anodin, nous sommes dans l'Amérique puritaine et isolationniste, et Eastwood ne l'oublie pas). Mais lorsque la police retrouve cinq mois plus tard un enfant qui prétend être Walter Collins, le petit disparu, sa mère ne le reconnait pas et décide de tout faire pour retrouver son véritable fils. Résumé ainsi, le scénario peut paraître simpliste et prévisible. Mais l' objectif du réalisateur n'est pas vraiment ici de filmer une aventure inattendue, fraîche et riche en rebondissements. Et si le résultat est globalement sans grande surprise, le réquisitoire tient parfaitement la route, et la critique fulminante du mensonge, de la corruption et des abus de pouvoir des autorités est toujours d'actualité, et ne se limite pas aux Etats-Unis... (Notons au passage l'action du Révérend Briegleb -John Malkovich-, qui n'a en revanche pas vraiment la même valeur pour le public américain que chez nous. A replacer dans le contexte religieux US, donc, avant de s'en servir pour critiquer le film.)

Eastwood retrouve ici certains de ses thèmes de prédilection, la dislocation familiale et la disparition, la vengeance, l'enfance brisée (qui ne sont pas sans rappeler le brillant Mystic River, de cinq ans son aîné) mais aussi le sexisme et même la peine de mort (autour de laquelle il s'interroge régulièrement depuis La Sanction en 1975). Ce film, donc, s'il contraste fortement avec les deux précédentes fresques historiques (Lettres d'Iwo Jima et Mémoires de nos Pères), n'en demeure pas moins fortement liée à l'oeuvre du réalisateur.

Difficile, en revanche, de parler de l'Echange sans mentionner quel OVNI il est dans la filmographie d'Angelina Jolie. En effet, jamais l'actrice ne s'était montrée aussi bouleversante et aussi juste. Donc, non contente d'ajouter à son palmarès (car l'inconscient collectif a plutôt tendance à être marqué par Lara Croft et autre Mrs. Smith...) un nouveau réalisateur culte, qui rejoint donc Robert De Niro (Raisons d'Etat), Oliver Stone (Alexandre, certes, mais néanmoins, il faut être objectif, elle compte tout de même un film du réalisateur de Platoon à son tableau de chasse !), et Robert Zemeckis (La Légende de Beowulf -oui, hein, comme quoi un nom ne fait pas tout-), elle confirme qu'au delà de sa plastique corporelle et de la paire de lèvres que lui envie plus d'un quart des femmes de la planète, elle a de grandes capacités de jeu, et une formidable sensibilité qui ne demande qu'à s'épancher loin des couvertures de Public(c). Mais je vous l'accorde, Une Vie Volée (James Mangold, 2000) nous avait déjà mis le doute.

Enfin, il est inévitable lorsqu'on parle de l'Echange (et de Clint Eastwood plus généralement) d'évoquer la qualité de la photo du film. Parce que la caméra capture avec brio son sujet, suggestive, et ne tombe jamais dans l'intrusion, risque à prendre lorsqu'on choisit de se fixer tout particulièrement sur UN personnage. Et parce que l'image en elle-même évolue avec le film, soulignant l'émotion des personnages et sublimant celle des spectateurs. Ainsi, la scène où Mrs. Collins/Jolie rentre dans sa maison vide est d'une noirceur oppressante, percée çà et là de spectrales raies de lumière, l'exécution (je n'en dirais pas plus, inutile de me torturer) est d'un blanc cruel, froid et chirurgical mais n'en représente pas moins l'innocence disparue...

Eastwood, donc, du haut de ses 78 ans, ne perd rien de son génie, et signe pour notre plus grand plaisir un film simple, certes, mais efficace, noir et émouvant, un réquisitoire désarmant teinté d'un optimiste assez cruel, qui outre et qui émerveille. Et non content de témoigner de sa fabuleuse expérience (et son incommensurable amour !) du cinéma, l'un des plus talentueux et prolifiques réalisateurs de sa génération ne manque pas de nous rappeler ce qui paraît évident mais qu'on oublie un peu trop. Au final, lui, elle, eux, nous... Nous ne sommes que des humains.

samedi 10 janvier 2009

La formidable évolution du point-virgule dans l'histoire mouvementée de l'imprimerie, Frank Miller (2008)


C'est une totale surprise que Frank Miller nous réservait cette année en nous affichant (enfin !) sa première production cinématographique en solo, libre (libéré ?) enfin de toutes les influences néfastes que lui prodiguaient ses pseudo-compères R. Rodriguez et Q. Tarantino. Enfin, dis-je, Miller est libre comme un électron et compte bien profiter de sa sortie des grilles. Et le résultat est surprenant ! S'affranchissant de tous codes, de toutes contraintes si ce n'est celles, évidentes, sublimes, de rendre hommage à ses pères, de faire revivre les plus grandes heures de l'expressionnisme allemand en y apportant une nouvelle touche graphique résolument moderne, génialement licencieuse, lourde de sens pour qui est ouvert à sa démarche artistique qui sort des sentiers battus, le réalisateur se charge avec brio de satisfaire l'attente des spectateurs tels qu'il les conçoit, de leur offrir ce qu'ils attendent, nous tous ses spectateurs dévoués de la première heure. Tout ce que nous attendions de son travail y est : un long-métrage prenant, intellectuel, pour qui la psyché des personnages est telle une ombre lumineuse à la dimension esthétique, mise en valeur sans pour autant être négligée ni primée à outrance. Et j'ai pu sentir, palper de mes doigts fébriles la joie qui a envahi la salle lorsqu'est apparu à l'écran Alde l'Ancien (sublimement interprété), génial imprimeur italien, lorsqu'ont enfin commencé ses pérégrinations dans les quartiers sombres Vénitiens, ses amours et ses détracteurs, la touche de l'auteur toujours derrière lui à rappeler son rôle nécessaire dans la littérature mondiale sans jamais même se répéter. Et quand Miller, maître des poupées, marionnettiste fou, prend l'initiative de parsemer son oeuvre de quelques piques, sympathiques traits d'esprit qui ne peuvent que nous dérider et nous extirper un instant seulement de la fascination dans laquelle il nous avait plongés, nous ne pouvons que le louer vivement et acclamer son oeuvre comme l'une des plus grandes de l'année.
Telle est la critique que nous aurions tous pu lire si Frank Miller s'était attelé à nous conter l'histoire de la ponctuation moderne occidentale, en lieu et place d'un hommage à l'un de ses comics favoris, The Spirit, film de grand enfant qui laisse à penser que finalement, on finit tous un peu par vieillir mal.
The Spirit, c'est d'abord une histoire sortie du cerveau du fantastique Will Eisner, l'un des grands pionniers du comic américain, dont le personnage principal, Le Spirit, est un super-héros middle-class revenu d'entre les morts pour combattre le crime avec un feutre mou sur la tête. L'influence que la série a eu sur l'univers de la bande dessinée est immense, et c'est donc sans étonnement qu'on pouvait s'attendre à ce qu'un jour quelqu'un en fasse un hommage à sa manière ; et c'est limite sans surprise que la tâche a été confiée à Frank Miller, ou plutôt que Frank Miller s'en est approprié la tâche, lui qui a été l'ami intime de Will Eisner (décédé en 2005) pendant de longues années.
Evidemment, après Sin City le film, on ne pouvait que s'attendre (voire craindre, pour les fans les plus acharnés) à ce que The Spirit devienne un héros sombre, tourmenté, qui doute de lui-même dans une ville perdue par le vice et plongée dans une obscurité visuelle comme psychologique tout à fait permanente. Et c'est exactement le cas ; avec Miller, Le Spirit atterrit de plein fouet dans l'univers graphique de Sin City : noir et blanc complet, touches de couleur qui explosent la mise en valeurs des détails essentiels. Jusque là, tout va bien : c'est une réinterprétation comme une autre et elle peut donner lieu à des résultats fort intéressants ; mais boum, dommage, ce n'est pas le cas.
D'emblée, on est frappé par ce qui sonne comme une évidence : Miller veut faire du Miller (non, pas Arthur) (ni Henry) (Henry Miller, je parle, pas Henry Kissinger, secrétaire d'Etat républicain sous Richard Nixon, mais nous nous éloignons du sujet, quoiqu’il est indéniable que Frank Miller possède un certain air de ressemblance avec le président américain. Cependant, de là à dire qu’il va mettre fin à la guerre du Viêt-Nam et qu’il occupe ses week-ends à cacher des micros dans des chambres d’hôtel, il n’y a qu’un pas qu’il serait dangereux de franchir. Non, je ne pense pas que le physique de l’individu soit une composante essentielle voire nécessaire de la question ; malgré son physique assez disgracieux quoique tout à fait respectable, Arthur Miller a été l’un des plus grands dramaturges américains, dénonciateur fin et vigoureux des valeurs capitalistes contemporaines. Des pièces telles que The Crucible ou Death of a Salesman ont profondément marqué et ce de manière irréversible l’univers théâtral actuel et ont acquis un statut mythique tout à fait mérité) ; on sent qu’il ne s’est pas tout à fait remis du succès mérité de Sin City : après tout, si ça a marché une fois, ça marchera bien la deuxième. Sauf que le style appliqué à Sin City, disons par là le noir et blanc brutal avec quelques détails en surimpression colorée, perd tout à fait de son charme, en y perdant tout à fait son sens : là où justement chaque détail coloré dans Sin City cherchait à mettre en valeur un indice important, un point, une particule sordide qui pouvait résumer à elle seule le propos de l’histoire (le sang jaune pour That Yellow Bastard, le sang rouge et les sirènes de police pour The Hard Goodbye), tout cet aspect est réduit à des formalités purement esthétiques dans The Spirit : le meilleur exemple en est la cravate rouge du héros, tout juste prétexte à quelques blagues pendant le film ; pire encore, il attrape la manie de mettre en ombre inversée des chatons – ne m’en demandez pas l’intérêt, il n’y en a aucun. C’est bien simple, les meilleurs moments du film font partie de ceux où il ose s’affranchir d’une telle règle : le repère du méchant en tête (LE meilleur moment du film), où tout est coloré dans un rouge nazi éclatant. Et c’est fort dommage, tant les premières images qu’il nous avait été donné l’occasion de voir avec le premier teaser diffusé sur le net (mais si, l’enfilage de cravate, puis la course sur les toits sur fond d’Ennio Morriccone !) laissaient penser que The Spirit suivrait à grands pas la lignée de son prédécesseur ; au final, ces images alléchantes ne font plus que pâle figure d’hommage au film de Rodriguez.
A la rigueur, si cette esthétique était bêtement impeccable, on aurait pu ne pas trop lui en vouloir et apprécier le reste (une sorte de version allégée du concept de The Fountain de Darren Aronofsky, film fait pour être un beau film – et c’est réussi ) ; mais force est de constater que même le reste n’arrive pas à suivre. C’est joli, mais diablemort, c’est mal filmé la majeure partie du temps : Miller tente de varier les plans, mais c’est généralement mal cadré, et ça n’apporte pas grand-chose, sinon à faire perdre de leur (maigre) superbe aux personnages. Le repère du méchant étant encore une fois une exception à la chose, une scène où le Frank s’est vraiment appliqué pour nous faire quelque chose de court mais de purement jouissif, multipliant les prises de vue ingénieuses et insolites pour un résultat franchement drôle et appréciable.
Ajoutons à cela une méconnaissance totale du rythme, qui était l’un des points majeurs de Sin City (on y revient toujours, mais c'est impossible de faire autrement), où instants de pause et scènes de pure testostérone étaient parfaitement dosées. Ici, étrangement pour le genre, les scènes de courses-poursuites, de bagarres, sont presque laissées de côté, un peu négligées, là où nous étions en droit d'attendre l'inverse ; on a tout le long du film l'impression gênante que le héros ne remplit pas son rôle – plus enclin à parler de ses projets (son projet, tristement et ridiculement répété un nombre incalculable de fois, comme si nous étions une bande d'imbéciles qui oubliaient dès que ça n'était plus à l'écran) qu'à les accomplir. Alors que dans la bande dessinée, il casse la tête à un nombre colossal de brigands (et de félons), on peut résumer le nombre de fâcheux qui se mettent plus ou moins en travers de sa route à trois : un groupe de deux pickpockets sans importance, au début, un groupe de trois malfrats aussi peu utiles à l'histoire vers le milieu, et enfin les altercations très nombreuses et à la qualité très variable avec LE bad guy (mauvais garçon) du film, Octopus, afro-américain un peu fantasque dont on ne sait au final pas grand-chose (la raison de la haine que lui voue Le Spirit est tout juste évoquée en trois mots allusifs, au détour d'une phrase). Sur le même principe, alors que Le Spirit de la bay-day est un tombeur de femmes, et la bande-annonce mettait fortement en valeur cet aspect de l'histoire, le film s'avère très concis sur le sujet, absolument pas développé, le montrant tout juste sortir de beaux mots à deux ou trois des six ou sept qui se montrent plus ou moins furtivement à l'écran (on aurait aimé s'attendre à en voir 300 – ou un million !, AHAHAH).
On peut imputer toutes ces maigreurs à la faiblesse du scénario, monumentale : que se passe-t-il ? Un homme masqué qui veut protéger une ville qu’il aime exprime son désir obsessionnel d’en finir avec un gros méchant ; mais une de ses anciennes conquêtes refait surface. Cette dernière partie n’a, au bas mot, aucun intérêt, sinon de mettre en valeur la sensuelle Eva Mendès et d’exposer le goût prononcé de son personnage pour ce qui brille, et de lancer dès le début un quiproquo invraisemblable, jamais expliqué et prétexte à rallonger la feuille du synopsis qui déjà ne devait pas être lourde. Il semblerait que, sinon, Frank Miller ait ce problème de débutant qu’est celui d’oublier en cours de route des détails importants de l’histoire, en supposant que vu qu’il a lui-même travaillé sur l’histoire et que ça lui semble tout à fait clair, le public comprendra facilement. Cela expliquerait le fait que sa passion pour les femmes ne soit pas développée, que les origines du Spirit soient évoquées presqu’à la fin. Quoiqu’il en soit, tout ce qui au final semblait important, nécessaire, est ce qui est laissé de côté.
En lieu et place, on se retrouve avec deux choses, inextricablement liées l’une à l’autre : les dialogues, l’humour potache. Pour donner une explication à la qualité des dialogues de The Spirit, je ne vois que deux solutions : a) Le dialoguiste est un veau marengo ; b) Le dialoguiste n’est pas un veau marengo et dans ce cas il ferait bien de songer à se reconvertir dans le point de croix. Les échanges qu’on se farde pendant les quatre-vingt-dix interminables minutes qui constituent le film ne sont que l’expression d’un vide intersidéral, un best-of condensé des plus grands dialogues de série Z qui font passer Tarantino pour un Shakespeare contemporain. Ca parle comme des super-héros, c’est héroïque à souhait, bien peu soucieux de la dignité présupposée des personnages, ça fait des clins d’œil à l’écran, etc, etc, de quoi donner un formidable rhume des foins. Le pire étant certainement lorsque les échanges verbaux se tournent vers la rigolade superbe ; les joutes verbales ont beau faire de réels efforts, on se demande tristement ce qu’on fait là, si le vrai film n’était pas en fait dans la salle d’à côté.
Et, comble de la maladresse exponentielle (il y a des gens qui n’ont vraiment pas de chance), les acteurs ne sont pas là pour aider les choses. Scarlett Johansson s’ennuie à mourir, ça crève les yeux ; d’autant plus lorsque Samuel L. Jackson est à l’écran avec elle, lui qui semble s’amuser comme un petit fou. Il est excellent et les bonnes blagues sortent inexorablement de sa bouche ; dommage qu’il n’y ait pas beaucoup de blagues qualifiables de bonnes. Gabriel Macht, qui joue le Spirit, joue mal, très mal : son sérieux poussé à l’extrême est tellement déstabilisant qu’on ne sait jamais s’il fait de la parodie ou s’il surjoue comme un gros pied. Sans parler de Louis Lombardi, qui tient le rôle des ‘hybrides’ sbires du méchant, et dont les apparitions (nombreuses, nombreuses) sont autant de plaies insupportables qui nourrissent le désir qu’on a tous un peu en nous et qui est celui de se mettre des coups de poignard dans les yeux. Catharsis un peu ratée, pour un personnage comique.
Bon, allez, résumons, regarder The Spirit est une pitié, un martyre visuel tant le produit suinte le mauvais et l’honteusement bâclé. D’un film de justicier, on arrive à une bouffonnerie riche en gaffes et en approximations impardonnables, à ranger en plein milieu du rayon heureusement maigre des séries Z à gros budget. Après cette, hem, expérience, on peut retourner à Sin City et de ce fait parvenir sans difficultés à une conclusion simple et limpide, celle qu’il ne manque qu’une seule chose à Frank Miller pour réaliser de bons films : Robert Rodriguez.

mardi 6 janvier 2009

Rentrée des Classes, Jacques Rozier (1956)

A court-métrage, courte critique. Mais je ne pouvais décemment pas ne rien dire sur ce petit bout de Nouvelle Vague reçu en pleine tête en cours de cinéma. Je suis peut-être nostalgique de la Provence, me direz-vous (et vous n'aurez pas tort du tout, soit dit-en passant), et c'est pour ça que j'en arrive à craquer sur ce court-métrage à l'histoire objectivement faiblarde (le jour de la rentrée, un enfant parie avec un autre qu'il lance son cartable par dessus le pont pour cinquante francs, il le fait, l'autre s'enfuit sans payer, il plonge récupérer son sac et ramène un serpent en classe pour faire peur à l'autre), à la photo d'une normalité presque désarmante, au son d'assez piètre qualité, et qui du début à la fin fleure bon la caricature (finalement, l'accent du Sud arrive à être aussi incompréhensible que le "parlé ch'ti").

Mais passées les cinq premières minutes (pendant lesquelles, je vous rassure, on est parfaitement en droit d'être plongé dans le plus profond scepticisme quant à ce qui nous attend), on se prend au jeu, on s'amuse des facéties audacieuses de "l'élève René Boglio". Et on se souvient de l'époque où on rêvait d'oser lancer notre cartable par dessus les ponts, de nager dans des rivières au lieu d'aller en cours et de ramener des vipères en classe. Au final, cette éternellement sordide "Rentrée des Classes" devient ici un hommage enivrant à la liberté, à l'audace et à l'enfance, tout simplement. Comme une sorte d'exutoire à tous nos fantasmes avortés de gamins (et à ceux du réalisateur, ne nous voilons pas la face).

Mais malgré toute la fraîcheur, la poésie et la spontanéité qui se dégage de l'ensemble, Rozier n'oublie pas de nous rappeler constamment que même si ça dure 24 minutes et des poussières, c'est quand même du cinéma. Et il fait ça bien, le bougre. Que ce soit en mettant en scène l'Instituteur avec un grand "i", celui qu'on aurait tous rêvé d'avoir et que personne n'a jamais trouvé (mais si, voyons, celui qui s'offusque du manque d'instruction du pépé et pas du fait qu'il fasse les devoirs de son petit-fils, et pour qui "Eh !" est une excuse suffisante pour arriver en retard et trempé en classe) ou en développant de longs plans sur les paysages (notamment de la rivière), comme la vision d'un Eden moite, étincelant et ensoleillé, sublimé par la musique de Darius Milhaud ; on n'oublie jamais que c'est de la fiction, du rêve, du fantasme poético-nostalgique. Bref, du cinéma. Du cinéma pur de dur.

Après tout, c'est aussi parce qu'il se permet tout ce qu'on ne peut pas faire, qu'on l'aime, le cinéma, non ? Mais quand on tombe sur ce genre de film, on se souvient qu'on a eu d'autres rêves qu'être un cow-boy, une princesse ou cacher des extraterrestres dans les panières de nos vélos. Et qu'avant de vouloir voler nous-même, faire voler nos sacs d'école suffisait à nous faire toucher le ciel du doigt. Faut croire qu'on devient trop exigeant, avec l'âge. Finalement, heureusement qu'il reste des films tout simples pour qu'on s'en souvienne un peu. Ne serait-ce que pendant 24 minutes.

Et ça, sales chauvins, ça vaut tout le Pastis du monde.