mercredi 26 mai 2010

Sélection Officielle : Outrage, Takeshi Kitano (2010)

Le film de Yakusas est un genre à part entière au Japon. Et tout au long de sa filmographie (Aniki, mon frère ; Sonatine ; Hana-Bi...), Takeshi Kitano a exploré le statut particulier de ces mafieux japonais, et leur évolution au sein de la société actuelle. Le principe de base est, selon toute logique, assez simple : dans un monde sans valeurs, différents clans s'affrontent dans une quête incessante des faveurs du Parrain, et des plus grosses responsabilités sur une ville de plus en plus corrompue.

Lors d'une conférence de presse cannoise, Kitano déclarait adorer les films de Scorsese, mais faire ses propres films. Outrage en est une illustration édifiante. Loin de sublimer par de longs plans-séquences la plongée dans ce monde en marge, il en dresse un portrait sans concession (appuyé par une alternance de plans séquences fleuves et d'un montage saccadé, mais aussi l'utilisation des plans fixes et des fondus au noir) celui d'un univers impitoyable ne laissant de places qu'aux plus avides, et où ceux qui "ont toujours rêvé d'être un gangster" redoublent d'ingéniosité cruelle pour parvenir à leurs fins.

Cruel, le film de Kitano l'est. Mais l'humour pince-sans-rire devenu la marque de fabrique de son auteur (né comme artiste comique grâce aux sketches de "Beat Takeshi" sur les handicapés, les idiots et les gens laids) peine parfois à prendre quand les scènes surenchérissent vers le gore (la scène chez le dentiste, bien évidemment). On retiendra toutefois quelques scènes très "Kitaniennes", mettant en exergue le racisme primaire des Japonais, via le personnage d'un ambassadeur africain.

Toutefois, l'exercice de style visuel se fait clairement au détriment du scénario. On peine à rentrer dans l'histoire, confuse, et les personnages, très nombreux et pour la plupart manquant d'épaisseur, mettent longtemps à se mettre en place. De plus, la construction répétitive de l'histoire finit par lasser. Malgré une amusante conclusion, parfaite illustration de la thèse de Kitano sur la survie des Yakusas (l'avidité de la nouvelle génération finira par venir à bout des Parrains actuels, fidèles à une certaine idée de l'honneur), l'ensemble laisse un arrière-goût de négligé.

Heureusement, le sens du rythme du réalisateur (qui porte fort bien son pseudonyme de "Beat Takeshi") sauve l'ensemble : on se prend assez à ce jeu des faux-semblants et des trahisons à répétitions, malgré une poignée de longueurs égrainées çà et là et qui égarent un peu le spectateur. Les acteurs participent également de ce rythme visuel, renforcé par leur alternance à la façon de poupées russes : un qui meurt, un qui arrive pour tuer le suivant.

En définitive, on ne s'ennuie certes pas devant ce divertissement purement régressif, marivaudage sanguinolent aux allures de "Jeu de la mort et du hasard". Mais Outrage n'est pas du tout à ranger au palmarès des meilleurs films de Yakusas, ni même des meilleurs films de Kitano. Au Palmarès cannois non plus, d'ailleurs.