lundi 20 avril 2009

LES FAUSSAIRES (DIE FÄLSCHER), Stefan Ruzowitzky (2008)

Penchons-nous un brin sur ce film qui fut le premier film Autrichien à remporter un Academy Award, l’année passée.
En 1936, le juif Salomon ‘Sally’ Sorowitsch mène une vie de luxe dans les cabarets Berlinois. Il se moque bien de la montée du nazisme ; comme il le dit, pour survivre, les Juifs n’ont qu’à s’adapter. Car lui s’adapte très bien aux bouleversements qui déchirent son pays : il est faussaire, « le plus grand faussaire du monde », et à ce titre, il peut s’autoriser toutes les folies. Jusqu’à ce que la réalité le rattrape : surpris en pleine nuit dans son atelier, il est arrêté, puis déporté. Les années passent et on l’envoie au camp de Sachsenhausen, pour une mission spéciale : créer de faux billets et saboter l’économie alliée. Là-bas, il y rencontre Adolf Burger, un autre prisonnier chargé de l’aider à fabriquer les billets…
Ce film met la lumière sur un fait réel et méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, pendant laquelle un groupe de juifs fut caché et contraint de participer à l’Opération Bernhard, qui visait à déprécier la monnaie des pays Alliés, pour ruiner leur économie et permettre à l’Allemagne de redresser la tête, au moment où elle était sur le point de s’effondrer. Ce fut un peu le ‘coup de la dernière chance’ pour les Nazis, qui cherchaient bien à éviter que leur entreprise, la Conquête de l’Europe, ne reste dans l’Histoire que comme un simulacre de vaste suicide organisé (l’Allemagne avait tout juste de quoi tenir jusque 1941 ; la Russie et les puits de pétrole qu’elle détenait en Roumanie avait de quoi leur sauver la mise : on sait aujourd’hui que ce fut le début de la fin).
La tension qui en découle se reflète plutôt bien dans le film, à la vue des comportements tantôt brutaux, tantôt suppliants des Nazis : constamment dans le film, ils rappellent à quel point la mission est vitale pour eux tous, et qu’un échec se solderait par l’exécution de l’intégralité du groupe ; lorsque la situation devient critique, et que le besoin d’argent se fait de plus en plus pressant, c’est un marché qui s’établit entre Herzog, le sturmbannführer et Sorowitsch, renforçant l’étrangeté du huis clos dans lequel ce dernier et ses hommes se trouvent plongés.
C’est sur ce huis clos, cette idée de confrontation directe entre deux ennemis que s’appuie Ruzowitsky pour réaliser l’essentiel de son film. Mais, contre toute attente, ce n’est pas entre Juifs et Nazis que s’établit la confrontation ; à eux seuls, ce sont bien Sorowitsky et Burger qui vont former les deux groupes principaux, isolés et opposés. Entre eux deux, le reste des prisonniers, la ‘famille’, dont le sort dépendra de l’issue du débat.
Ici, c’est bien d’honneur dont il est question, de l’honneur face à la conscience, face à la survie ; et l’on découvre rapidement que les deux personnages sont totalement antithétiques sur le sujet. Burger est le communiste, qui pense qu’il vaut mieux que le groupe de faussaires meure la conscience tranquille plutôt que de collaborer avec les Allemands et de causer plus de morts, dehors. De tout le film, il sera le seul à prôner le sabotage, la révolte. Sorowitsch, lui, est l’individualiste moderne, l’homme rationnel par excellence, et c’est bien normal : c’est lui qui manipule l’argent. Lui préfère au contraire penser qu’il vaut mieux aider les Allemands et vivre encore quelques jours, quelques années de plus, plutôt que de laisser passer cette chance inestimable de survivre dans un camp d’extermination. A l’inverse de Burger, lui fera toujours tout son possible pour faire bonne figure devant les Nazis et maintenir ses camarades en vie.
C’est là qu’est le propos central du film, qui n’est pas sans rappeler le débat de fond de Morts sans Sépulture, de Sartre, et c’est de là que le spectateur en vient à se poser les plus grandes questions : mieux vaut-il mourir pour des idées ? Sinon, quel est le coût de la vie ? Sur ces nombreux points, l’auteur possède l’élégance de n’apporter aucune réponse, de laisser au spectateur seul se faire son propre avis et trancher sur cette question, comme sur celle de savoir qui des deux personnages principaux est un réel héros. La réaction des autres prisonniers, à la fin du film, laisse d’autant plus éclater toute la complexité du sujet.
Mais c’est également là que le film pêche cruellement. A trop vouloir toucher à la fois à la fresque historique et à la fois au débat moral, le réalisateur se perd, et le résultat apparaît bancal, mal assuré, faute d’avoir su choisir entre un film historique et un film métaphorique. C’est fort dommage, puisque forcément, l’histoire passe moins facilement, le spectateur ne sachant plus s’il a affaire à une scène qui a réellement eu lieu ou à une scène ne servant qu’à illustrer la joute philosophique des deux protagonistes.
En matière de points faibles, la réalisation, très classique, académique diront certains, laisse une certaine impression de déjà-vu, quoique plutôt efficace. Mais le pire réside certainement dans l’utilisation de la lumière : c’est très sombre, trop sombre même. La qualité de l’image semble suivre un certain mouvement apparu récemment, qui tend à tout assombrir et rendre certains blancs éclatants, extrêmement brillants, afin de donner une espèce de grain ‘authentique’ au résultat ; et c’est très exaspérant, puisque dans le cas présent c’est utilisé à toutes les sauces, pour n’importe quelle scène, masquant de nombreux détails (et peut-être par-là la faiblesse des moyens financiers du film), fatigant les yeux du spectateur qui cherche désespérément à suivre et saisir les détails primordiaux qui apparaissent fugacement à l’écran.
La musique, enfin, pour le dire en quelques mots, est agaçante, et noie l’histoire dans des ambiances inadéquates, voire superflues. Heureusement, on en fait vite abstraction, tant notamment la performance des acteurs est époustouflante, Karl Markovics, August Diehl et Devid Striesow (respectivement Sorowitsch, Burger et Herzog) en tête.
Le film n’est absolument pas mauvais, non ; au contraire, même, il regorge de nombreuses qualités : le principal problème de Ruzowitsky, pour un sujet de cette envergure, c’est d’avoir voulu trop bien faire, d’avoir voulu trop en faire ; ce qu’il gagne en profondeur, il le perd en assurance.

L'Etrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher (2009)

Couvrir un siècle, raconter une vie... Vaste entreprise. A fortiori quand la vie en question est celle de Benjamin Button, le héros de Francis Scott Fitzgerald, qui naît à l'âge de 80 ans pour vivre sa vie à l'envers. Et si Spike Jonze et Ron Howard ne se sont pas sentis à la hauteur, David Fincher, le génial réalisateur de Seven (1996) et Fight Club (1999), relève le défi, pour notre plus grand plaisir. Ainsi, deux ans après Zodiac, Fincher laisse de côté ses thrillers obscurs et tourmentés pour nous croquer, en une fresque grandiose et baroque, l'Etrange Histoire de Benjamin Button.

Cette histoire, en effet, est pour le moins étrange. C'est celle d'un garçon, qui naît en 1918, à La-Nouvelle-Orléans, mais dont le corps porte déjà la flétrissure du temps. Ridé comme les petits vieux qui terminent leur vie dans la maison où, abandonné par son père (sa mère meurt en lui donnant naissance), il passe son enfance, il ne pouvait qu'avoir un destin hors du commun. Et pourtant, son histoire, pareille à celle de chacun de nous, est faite de rencontres, de déceptions, d'expériences, d'amour, de rêves et d'épreuves. Sans sombrer dans le pathétique, mais toujours avec une infinie tendresse, se déroule devant nous le fil d'une vie, le portrait d'un homme, tout simplement, finalement aussi extraordinaire et unique que vous et moi.

Nul doute que ses incursions, en ouverture de sa brillante carrière cinématographique, dans la supervision des effets spéciaux (notamment sur Le Retour du Jedi en 1983 et Indiana Jones et le Temple Maudit ainsi que l'Histoire sans Fin l'année suivante) ont énormément servi à Fincher pour la réalisation de ce film. En effet, impossible en le regardant de ne pas remarquer la virtuosité du travail de l'image. Pour raconter une vie, il est bien sûr indispensable de matérialiser le vieillissement, et dans le cas présent, le rajeunissement. Prouesses techniques (la caméra "Contour" développée par Apple, entre autres) et maestria des maquilleurs permettent d'ailleurs au film injustement négligé lors de la Cérémonie de remporter un Oscar des meilleurs effets spéciaux amplement mérité.

Mais au delà de ces audaces numériques, on ne peut pas manquer, tout simplement, la beauté de l'image. Fincher se place en peintre d'une exceptionnelle fresque visuelle, profondément ancrée dans la réalité. Même si son histoire "tient de la fable" (pour reprendre ses mots), il orchestre une reconstitution extrêmement minutieuse, et un siècle défile devant sa caméra et devant nos yeux. S'inspirant de l'histoire du cinéma (qui est finalement l'histoire du siècle) pour recréer les univers successifs qui rythment le XX° siècle, il veille minutieusement sur chaque vêtement, chaque décor, chaque accessoire, et confère à son film une allure particulièrement authentique.

Cependant, si le réalisme est très présent, il sert finalement de faire-valoir à la "fable" du scénario. L'idée de départ, sur laquelle l'écrivain américain Mark Twain a mis des mots, est simple : "La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et que nous approchions graduellement de nos 18 ans.". Mais Fitzgerald, et Fincher après lui, creusent la complexité du problème : cette sentence ne s'applique qu'à un seul personnage, qui rajeunit en regardant les gens qu'il aime se flétrir (et réciproquement). De plus, Twain ne tient pas compte dans sa phrase de ce que devient l'enfance. Ainsi donc, le joli rêve devient une réalité bien plus cruelle qu'il n'y paraît. L'oeuvre devient un tableau intimiste et désuet, photographie sépia qui hésite à "bien" vieillir, sans pour autant tomber dans l'écueil des odeurs de naphtaline, écrin de velours pour une histoire d'amour qui recule pour mieux avancer.

Le film, en effet, questionne les relations humaines, l'amour, la famille, au delà de l'interrogation temporelle qui le hante. En tisserand minutieux, Fincher fait s'entrecroiser ses personnages, comme autant de fils densifiant son récit fantasmagorique. Le montage parallèle du "présent", celui de la vieille dame dans son lit d'hôpital, celui des prémices de l'ouragan Katherina et le "passé", récit lu par sa fille, journal de Button, participe de cette idée (empreinte du pessimisme caractéristique de Fincher sans pour autant tomber dans la sinistre dépression) selon laquelle les gens se croisent, se trouvent, se ratent, se rencontrent, s'oublient...

Conte qui peut prendre des allures moralisatrices de "l'habit ne fait pas le moine", cette Etrange Histoire n'en est pas moins une prenante leçon de cinéma, d'abord, mais aussi une non moins prenante leçon de vie.

Bugsy Malone, Alan Parker (1976)

D'une dizaine d'années l'aîné de la mythique fresque de l'Amérique de la prohibition de Brian De Palma (Les Incorruptibles en 1987), et digne petit frère des Howard Hawks et autres Nicholas Ray qui ont croqué successivement ces Twenties saveur Martini-on-the-rocks, Bugsy Malone s'amuse des fantômes passéistes qui planent depuis toujours sur le cinéma américain. Pendant faussement moderne du western, le film de gangsters est un autre genre fondateur, un pied dans l'Histoire, l'autre dans la fiction la plus débridée.

Le scénario, en quelques mots, n'a rien à envier à ceux des classiques du genre : Fat Sam est un chef de gang, tenancier d'une boîte clandestine où les artistes la tête pleine de rêves côtoient
la racaille de la pire espèce. Celui-ci, dont Dandy Dan a juré la ruine dans le sang, engage Bugsy Malone, dragueur à la manque, fauché et amoureux transi, pour découvrir et dérober l'arme secrète de ce coriace adversaire.

Seulement voilà : la mafia, Parker s'en fiche. Mais l'univers lui plaît, entre petites moustaches élégantes, fusillades spectaculaires et danseuses grimées de plumes, gaines et paillettes. Alors, le futur réalisateur de Fame, The Wall et Evita décide de dérider le genre. Et le film de gangsters devient donc une comédie musicale, portée par des acteurs âgés de douze ans en moyenne, qui s'entretuent à grand renfort de crème pâtissière.

Soutenu merveilleusement par une musique de Paul Williams (le compositeur, un an auparavant, de l'excellente BO de Phantom of the Paradise -de De Palma, les grands esprits se rencontrent...), le film se régale de la jonglerie qu'il installe entre les codes de genres. La mafia flirte avec le music-hall, et le bar de Fat Sam devient le lieu privilégié de ces mises en scène audacieuses, où un petit goût de Broadway plussoie le parfum âcre de Chicago. On pensait la légendaire synchronisation, l'énergie et la dérision de l'âge d'or de la comédie musicale évaporées, dans ces années 70 hantées par les Ken Russel et leurs rondades criardes, mais Parker marche fièrement dans les traces de ses glorieux prédécesseurs.

En mettant son talent dans la direction des mini-acteurs au service de ses ambitions parodiques, il appuie ses partis-pris visuels, en totale adéquation avec les codes du film de gangsters : fidélité de la reconstitution historique, jeux de lumières, de fumée, plans américains et larges en alternance, lieux caractéristiques (la salle de bar, le bureau du boss, les rues de Chicago...), courses poursuites... ; mais aussi de la comédie musicale : inscription des chansons dans le déroulement de l'histoire, unité des danseurs (souvent tous les personnages d'une scène) pour les chorégraphies, mises en scène spectaculaires des moments chantés, compositions symétriques, jeux de contre-plongées...

Et si Parker choisit que toutes les chansons soient interprétées par les enfants en play-back sur des enregistrements d'adultes, cela ne fait finalement que prouver encore plus leur talent d'acteurs (le play-back n'est vraiment pas chose facile...) et l'extraordinaire maîtrise du réalisateur dans sa direction. Il est d'ailleurs fort dommage que si peu de ces enfants-acteurs aient poursuivi leur carrière (Scott "Bugsy Malone" Baio se cantonne aux sitcoms ; Dexter "Baby Face" Fletcher passe de Lynch à Michael Bay en passant par Mann, Mike Leigh et Jon Amiel ; Michael Jackson et Jodie Foster -qui sortait alors à peine du tournage de Taxi Driver de Martin Scorsese, où elle donnait la réplique à Robert De Niro- , eux, inutile de préciser... Tous les autres, en revanche, ont immédiatement mis un terme à leur fraîche carrière.), tant ils témoignaient d'un réel talent et d'un brillant sens de la dérision.

Dérision. C'est là le maître-mot du film. Tant dans la réalisation que le jeu et le scénario, Bugsy Malone est un joyau d'humour, une parodie improbable et burlesque qui n'a pas pris une ride et se regarde avec la nostalgie de la grande époque Hollywoodienne (Parker étant pourtant britannique), mais aussi celle de notre insouciance enfantine, du temps où tout un chacun se prenait pour un grand. La grande force de cette oeuvre-culte, c'est évidemment cette universalité, qui, selon l'expression consacrée "plaira aux petits comme aux grands".

"Rétrospectivement, je pense honnêtement que nous étions fous de tenter cette aventure. Mais à l'époque, il ne nous est jamais venu à l'esprit qu'un concept créatif aussi absurde ne fonctionnerait pas." déclare aujourd'hui Parker. Comme quoi, heureusement qu'il y a des fous.

dimanche 19 avril 2009

BRONCO BILLY, Clint Eastwood (1980)

Etrange, étrange film que voilà dans la carrière du célèbre réalisateur, particulièrement loin de tout ce qu’il a pu diriger, avant comme après… Ici, pas de héros mystérieux, pas de cow-boy solitaire, de flic aux méthodes expéditives, de journaliste en quête insatiable de vérité ; mais un homme qui joue aux héros mystérieux, qui joue aux cow-boys dans la troupe de cirque ambulant qu’il s’est créé. Clint Eastwood semble avoir voulu se faire énormément plaisir avec ce film, dans lequel il interprète Bronco Billy, le tireur le plus rapide de l’Ouest, un artiste saltimbanque au grand cœur qui tente tant bien que mal d’assurer la pérennité de son chapiteau, de subvenir aux besoins de ses bras cassés de compères. Un film haut en couleur, donc, où les décors, les lumières, les personnages de ce flamboyant chapiteau semblent tout droit sortis d’un rêve d’enfant. Son rêve d’enfant : lorsqu’on lui demande, le réalisateur cite toujours ce film comme l’un de ses favoris.
C’est un peu l’histoire qu’on aurait tous plus ou moins aimé connaître, au fond : un jour, quitter sa vie, son travail, et se lancer dans une entreprise chargée de donner ni plus ni moins du rêve à ceux qui en veulent, ou à ceux qui en manquent ; vivre en compagnie de chevaux, de serpents, d’un manchot et d’Indiens ; sur la route, rencontrer une riche et jolie héritière, d’abord têtue, mais qui va peu à peu se délier de ses chaînes et devenir la compagne d’armes qu’on a tous déjà cherché, la personne qui partage nos passions et qui nous aide à devenir meilleur, à approcher ce que l’on aimerait réellement être. Eastwood livre ici un film déroutant, parce qu’il peut sembler très personnel, au premier abord ; mais son propos principal, « N’oubliez jamais de rêver ; et faîtes ce que vous avez envie de faire », semble aussi bien s’adresser à l’héroïne du film, lorsque l’Indienne Petite Souris lui fait la morale, qu’à tous les spectateurs, qui, en vieillissant, auraient eu tendance à l’oublier. Lorsque l’on voit Clint Eastwood accomplir quelques-unes de ses acrobaties à l’écran (il n’a été que partiellement doublé), on peut sentir à quel point il est juste heureux d’accomplir l’un de ses vieux rêves d’enfants, mais aussi à quel point il tient à le faire partager.
Ce film s’apparente aussi à un hommage léger à cette Amérique profonde, loin des projecteurs hollywoodiens, celle qui fut le berceau du réalisateur, celle qui lui a apporté tous ses fantasmes, qui l’a poussé à devenir ce qu’il est aujourd’hui, celui qui joue les cow-boys. On assiste à une espèce de mise en abyme, lorsque le personnage qu’il interprète avoue que son rêve d’enfant était de recréer pour lui-même ce monde révolu du Far West, « ce temps où cow-boys et Indiens n’appartenaient pas à l’histoire » ; ce qui a fait connaître Clint Eastwood, rappelons-le, ce sont bien ces personnages de cow-boy solitaire qu’il a tant de fois interprété.
Déclaration d’amour simplette à cet univers onirique qu’on a tous en nous, donc ; celui du paysage de notre jeunesse, où se mêlent les histoires que nous contaient nos parents ou que l’on voyait au cinéma, à nos envies de vivre éternellement comme de grands enfants, insouciants, faisant rire et trembler de nouvelles personnes chaque soir. Certes, le scénario n’a rien d’exceptionnel, fleure bon le déjà-vu (le cirque qui connaît des difficultés financières, un classique du genre), et la manière d’introduire l’actrice principale (Sondra Locke, sa compagne de l'époque), riche héritière trahie par son mari le lendemain de son mariage, sonne terriblement faux ; mais on voit vite combien ça n’a aucune importance pour le réalisateur ; combien celui-ci n’a qu’un but principal, nous emporter avec lui dans ses rêves, ses souvenirs, et nous faire partager ce bon moment dans un conte qui se moque de la vraisemblance (on retrouvera une version plus adroite de cette ambiance onirique dans Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal, où le meurtre n’hésite pas une seule seconde à se mêler aux chiens invisibles, aux comtesses travesties et aux sorcières).
Il ne faut pas voir plus loin que cela dans Bronco Billy : ici, Eastwood est juste à la recherche de ce qui pourrait nous redonner nos yeux d’enfants, nous redonner envie de croire à l’impossible, nous faire rire (la scène finale est à ce propos un formidable pied-de-nez au Rêve Américain) et nous émouvoir. Très vite, l’univers du cirque prend part au monde réel, au monde tangible, celui au-dehors du chapiteau, que les héros tentent d’oublier ; et lorsqu’arrive le gros shérif pour faire le sermon à Bronco Billy, eh bien on se surprend à remplacer le terrain vague dans lequel ils se trouvent par une ville, dans le désert, et on attend que Billy sorte ses pistolets en plastique et qu’il inflige une correction à cet homme, qui s’apparente plus à un bandit qu’à un shérif de bourgade, et qui ose vouloir nous priver de nos illusions, de notre désir de vivre comme des enfants. Bronco Billy est le symbole de cette innocence que l’on aimerait garder le plus longtemps possible ; en cela, il est une réussite.

vendredi 17 avril 2009

PALE RIDER, Clint Eastwood (1985)

Critique à chaud de l’un des nombreux westerns réalisés par le cavalier solitaire.
Quelque part, dans un coin reculé de l’Amérique au temps de la Conquête de l’Ouest, un groupe de chercheurs d’ors tente tant bien que mal de survivre face à un filon maigre et aux harcèlements de plus en plus virulents de la compagnie extractrice voisine, qui veut s’approprier l’ensemble des terres de la région. Arrive un jour un cavalier solitaire qui va tenter de leur venir en aide…
Derrière ce scénario très classique se cache le jeune réalisateur Eastwood, encore sous l’influence nettement palpable de ses deux grands maîtres et amis Sergio Leone (qu’il serait inutile de présenter) et Don Siegel, le créateur de la célèbre franchise Inspecteur Harry. Bien qu’il ne soit pas à son premier coup d’essai (nous avons bien là affaire à son douzième film), il nous livre un western très classique, encore aux prises avec son personnage qui l’a rendu si célèbre, ce héros mystérieux, difficile à cerner (rappelons-le, il a pendant très longtemps été qualifié par les critiques de fasciste), au passé houleux, qui ne demande rien à personne mais qui agit selon son propre code moral ; une figure qu’il se plaît allègrement à démonter en tous points dans son excellent dernier film, Gran Torino. Clint Eastwood cherche ici encore son style entre les grandes influences qui ont forgé sa carrière cinématographique : dans Pale Rider, il est toujours très facile de discerner le bien du mal, le bon du mauvais ; et, paradoxalement, sous la part d’ombre que cache le héros se reflète en vérité un monde extrêmement manichéen, où le chef de la compagnie n’est qu’un terreau à vices, sans scrupules, rapace, voleur, violeur même, face à un groupe d’hommes honnêtes, profondément humains (ils aiment boire, ont des sentiments), victimes de l’appât du gain de leurs voisins. Et le héros, entre les deux, arrive et prend évidemment parti pour le bien, concourant à son triomphe final. Mais, paradoxalement encore, c’est à partir de ce monde extrêmement bien défini qu’Eastwood va définir des thèmes qui lui seront extrêmement chers pour le reste de son œuvre.
La religion, ainsi, occupe une place déjà prépondérante dans cette œuvre : les références bibliques sont multiples, les prières abondent, les personnages même lisent des passages de la Bible ; mieux encore : le héros qu’incarne Eastwood est un pasteur, et tout le long de l’histoire le scénario, le montage veillent à appuyer l’idée que sa présence est miraculée (le personnage, sur un cheval blanc, surgit de nulle part, au moment même où l’une des villageoises prie qu’un miracle vienne les sauver ; le personnage, encore, vu en contre-plongée, avec un ciel tourmenté derrière lui). Cela peut paraître un peu ‘lourdingue’, mais tout vise à servir cet autre thème qu’est la rédemption du héros et que le réalisateur-acteur déclinera quasi-systématiquement dans les autres films qui suivront celui-ci.
Bien qu’elle ne se dessinera jamais complètement, apparaît ici en effet cette facette du héros, qui a fait le mal dans sa vie, qui en porte toujours les stigmates, morales ou physiques, et qui cherche à en obtenir le pardon. Ainsi se définit sa conduite, par deux lois fondamentales : celle de la religion, la loi céleste (le héros est un prêtre), et celle des hommes, la loi du plus fort, qui conduit à prendre les armes pour venir en aide aux opprimés, sans jamais les inciter à devenir oppresseurs (quand vient le moment, le héros n’hésite pas à ressortir ses armes et à se battre). Ce thème précis, celui de l’homme qui a appris à devenir honnête, parce que c’est le seul moyen d’obtenir le salut, sera très amèrement retranscrit dans Impitoyable, l’excellent western qu’il réalisera en 1992 et qui est la preuve tangible de la formidable maturité et de l’esprit pessimiste et critique qu’aura acquis le réalisateur au cours de son existence.
Cette idée du repentir, tout comme celle du héros qui semble voguer entre le bien et le mal, est appuyée par un très intéressant jeu de lumières, de clair-obscur, où la face du héros n’apparaît que partiellement, et dont le profil éclairé semble décharné, rongé par les ans, par une souffrance intérieure (voir la scène avec Carrie Snodgress, Sarah dans le film, tout bonnement magnifique), qui n’est pas sans rappeler le Jean-Baptiste de De Vinci, dont le visage malicieux et contrasté incite à se tourner vers le crucifix, qu’il tient avec légèreté dans la main. C’est un peu cela, dans un sens, qui a forgé le mythe Eastwood actuel : un personnage, ordinaire et trouble, un peu comme nous tous dans une certaine mesure, qui sublime nos peurs et nos haines pour nous guider vers la sagesse (actuel, précisons bien : Dirty Harry n’a jamais vraiment été un modèle de bonne conduite). Là encore, un rapprochement avec Gran Torino est facile.
Autre thème également présent, qui est mineur mais qui le sera toujours dans sa carrière, c’est celui des amours impossibles, fugaces, personnifié ici par les deux femmes du film, une mère et sa fille, toutes deux éprises de ce cavalier solitaire venu leur redonner espoir en une vie qui leur semblait maladroite, incomplète. Difficile dans le cas présent de ne pas penser à Sur la route de Madison et à sa romance éphémère entre M. Eastwood et Meryl Streep. Il ne faut cependant pas se méprendre sur ce point -ce thème des femmes qui, le mari parti, se jettent sur le premier venu parce qu’il a sa part de mystère, et donc qu’il cache derrière lui une vie pleine d’aventures-, qui au premier abord pourrait paraître un peu misogyne : Clint Eastwood a toujours eu un profond respect pour les femmes, dont l’influence n’est jamais très loin des héros principaux (l’épouse décédée d’Impitoyable, l’ex-épouse au bord de la crise de nerfs de Jugé Coupable, les épouses dans Mystic River, ou encore la jeune voisine de Gran Torino), lorsqu’elles ne sont pas elles-mêmes héroïnes (L’Echange, bien évidemment).
Malgré son classicisme efficace et cette recherche d’affirmation de soi remarquable, tout n’est pas parfait dans Pale Rider. Le rythme, principalement, pose problème. Tout se passe très lentement, trop lentement, au risque de donner l’impression qu’il ne se passe rien : dès lors, quand viennent les moments d’action, inévitables dans ce genre de cinéma, ces derniers semblent particulièrement bâclés, expédiés à la va-vite, et c’est une désagréable impression d’autant plus marquante lorsqu’arrive la fin, qui sonne faux, tristement creuse.
Cette fin apporte également son lot de personnages (sept, pour être précis) qui ne sont pas sans poser de problèmes : dès leur apparition, tout concourt à nous faire penser qu’ils sont liés avec le narrateur ; état de fait largement confirmé par sous-entendus par la suite. Malheureusement, on n’en saura jamais plus que ce que nous donnent ces sous-entendus : c’est certainement un parti pris, visant à maintenir le mystère primordial autour du personnage, mais à l’écoute de certaines répliques, ce parti pris apparaît comme bancal. C’est l’une des faiblesses majeures du film, qui apporte beaucoup de questions pour ne donner, au final, que très peu de réponses : le cavalier solitaire était-il vraiment pasteur ? Qu’a-t-il fait avec ces sept personnages ? Dans ce souci de mystère, qui peut paraître inutile, Impitoyable est largement mieux réussi, distillant informations, les vraies comme les fausses, avec une finesse remarquable ; mais Pale Rider reste néanmoins un très bon divertissement. Un film à voir, donc, pour qui veut approcher l’étendue des préoccupations morales et artistiques du réalisateur. Et il ne faut pas se méprendre : Clint Eastwood est un virulent antimilitariste.