jeudi 28 mai 2009

Un Certain Regard : Irène, Alain Cavalier (2009)

Sans doute aucun film n'avait plus sa place dans la sélection un Certain Regard que celui qu'Alain Cavalier lui soumettait cette année. Parce qu'Irène, c'est d'abord et avant tout un regard. Ce regard, c'est celui d'un homme qui a aimé, d'un homme qui aime, d'un homme qui, par son souvenir et sa pellicule, rend son Irène immortelle.

L'histoire est simple : il n'y a pas d'histoire. Cavalier déroule sa psychanalyse sur celluloïd suivant le principe de l'association d'idées. Pas vraiment de début, pas vraiment de fin, seulement un fil conducteur autour duquel s'organisent (ou plutôt ne s'organisent pas) des souvenirs, des sensations, des scènes et des images éparses. Et dans cette oeuvre vivante se crée une véritable relation entre l'auteur et le spectateur. Il gagne en confiance, en assurance, et se livre de plus en plus intimement. Le spectateur se fait confident, parfois presque voyeur.

Visuellement, Irène porte la patte de l'autobiographie filmée : Cavalier, une intrusive caméra au bout du bras, se cherche. Et c'est tantôt son visage (à demi-masqué par son outil) dans un miroir, tantôt des bribes de textes issues des journaux qu'il tenait quotidiennement et qui constituent le support privilégié de l'exploration de ses souvenirs, qu'il capte et nous livre, avec toute la crudité de la révélation. Parfois, il fait revivre son Irène à travers un tas de coussins qui évoque une silhouette lubrique, une photo qu'il explore... L'objet, encore imprégné de sa présence, devient le catalyseur du travail de mémoire.

La place du son est essentielle : à nouveau c'est la confidence qui préoccupe Cavalier. Celui-ci se place en narrateur omniscient, racontant son histoire au passé, au présent... C'est lui, l'homme du hors-champ, qui explore son propre inconscient, qui mène la danse ; nous racontant, mais aussi se racontant, l'histoire qu'il désire. Peu ou pas de musique, ici, sauf si elle participe du souvenir. En revanche, la respiration est là, nous rappelant qu'aussi momifiés que soient les récits évoqués, ils n'en demeurent pas moins de la vie. Rythment aussi la confidence-fleuve les bruits extérieurs, ceux de Cavalier redécouvrant du bout des doigts son passé ; des pages qui se tournent, un carnet de cuir qui flambe sur un camping-gaz.

Mais si Irène pourrait apparaître comme un film bavard, le silence y joue pourtant un rôle primordial. Evoquant le travail de mémoire immédiate du réalisateur, et laissant au spectateur la place d'imaginer, ou simplement d'assimiler entre eux les fragments d'une histoire complexe et désordonnée, ce silence est finalement celui qui crée l'unité d'un film basé sur l'idée-même de puzzle. Finalement, c'est peut-être tout autant dans la parole que dans son absence que se reconstitue cette vérité subjective que recherche Cavalier.

Ballet visuel empreint de poésie, Irène oppose l'abstraction du souvenir qui s'efface à la clarté du témoignage écrit. Réflexion sur la vieillesse, la mémoire et le temps qui passe, ce film est une oeuvre riche et complexe, comparable dans sa forme à l'équivalent cinématographique du Nouveau Roman. Voyageant à l'intérieur de sa tête et de son coeur, Cavalier surprend, prend le risque de créer malaise et ennui, mais livre bel et bien une oeuvre cinématographique forte, tant par l'originalité de sa forme que la sincérité de son ton.

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