vendredi 20 août 2010

Un Certain Regard : Ch@troom ; Hideo Nakata (2010)

Ch@troom, le dernier opus d'Hideo Nakata (Ring, Dark Water) présenté à Cannes dans la prestigieuse sélection Un Certain Regard, s'annonce comme un film dénonçant les dangers de l'addiction des jeunes aux nouvelles technologies via une scénographie intelligente et novatrice destinée à figurer de façon palpable la nature, pour l'adolescent qui les tisse, de ces relations virtuelles (à savoir des relations réelles, dans une univers plus confortable, puisque maléable). Nakata filme donc une paire d'univers "parallèles", dont un, vieil immeuble dont les couches successives de peinture trop vive semblent peiner à masquer l'étrangeté, figure la toile cybernétique.

Le défi de rendre cinégénique une bande de "geeks" intoxiqués du net est relevé, et l'implantation d'une histoire -qu'on pressent tragique- dans ce lieu d'attraction/répulsion semble couler de source. Et pourtant... Nakata choisit (en adaptant avec Enda Walsh sa propre pièce de théâtre) de raconter l'histoire de William, un adolescent plus qu'instable qui met fin prématurément à une psychothérapie loin d'avoir eu l'effet escompté. Celui-ci, en vrai génie de l'informatique, crée dans le sordide immeuble du net une pièce, une "chatroom", dans laquelle il décide de piéger 4 jeunes paumés de sa Chelsea natale pour les pousser au suicide. L'apprentie mannequin, la petite fille modèle qui se cherche, le noir qui aime la (trop) petite soeur de son meilleur ami et le jeune blanc sous Valium parce que son père est parti complètent une galerie de personnages superficiels et caricaturaux aux particularités -qui pourraient pourtant étoffer le scénario poussif- sous-exploitées.

Là où les choses se corsent, c'est qu'à cause de la faiblesse de son scénario, Nakata perd ce qui fait la richesse de sa mise en scène de départ. Les allers-retours réalité/chatroom sont trop nombreux ; on se lasse de l'infatigable cliché du "virtuel = couleurs vives / quotidien = couleurs désaturées" et des innombrables plans d'adolescents s'énervant devant leur ordinateur ou leur Iphone. De plus, la plupart des scènes hors-Internet ne font qu'obscurcir une intrigue déjà brouillon en laissant en suspend des choses qui semblent capitales (le nom partagé du frère et du héros des romans maternels, l'objet concret déclencheur de la psychothérapie, l'obsession des personnages en pâte à modeler...). Les quelques scènes faisant montre d'une vraie originalité de mise en espace sont finalement beaucoup plus rares qu'on ne pourrait l'espérer, et font figure de fulgurances exceptionelles (les séquences en stop-motion, la scène du pédophile ou celle du baisodrome en font partie).

Toutefois, même si le film a trop souvent des allures d'interminable clip contre les dangers du web, il sert d'acceptable écrin à l'épanouissement de Matthew Beard et la sublime Imogen Poots, parfaits dans leurs rôles (la victime névrosée -seul personnage amenant un tant soit peu d'émotion réelle à ses scènes- et l'amoureuse trahie) et belles pousses du nouveau cinéma anglais. Assurément, ces deux-là ont une belle carrière devant eux ; et si ce n'est pas le cas, alors Ch@troom n'aura vraiment pas servi à grand chose.