vendredi 28 novembre 2008

Quadrophenia, Franc Roddam (1979)


Plongeons dans les méandres vertigineux de l’adolescence au cinéma avec Quadrophenia, premier film plutôt méconnu du tout aussi plutôt méconnu Franc Roddam, de 1979, autrement dit bien avant qu’il ne se mette à écrire de pauvres émissions de télé-réalité pour les anglo-saxons. Le titre n’est pas étranger à ceux qui connaissent bien la discographie de The Who ; mais refaisons un peu d’histoire musicale si vous le voulez bien (à vrai dire, si vous ne le voulez pas, je m’en fiche, vous ne m’arrêterez pas comme ça, bande de sales fascistes).
La génèse
En 1969 paraît Tommy, premier grand chef-d’œuvre du groupe, orchestré avec les moyens du bord mais d’une main de maître par le leader incontesté : Pete Townshend, qui se sent d’humeur follement lyrique -et c’est tant mieux- depuis que son producteur lui a fait découvrir cinq années plus tôt les joies de la chanson de dix minutes. L’album est un énorme succès, mais Pete ne s’arrête pas là : Pete veut son second masterpiece, et ce n’est vraiment pas étonnant vu le tarin qu’il se paye.
Donc sort en 1973 Quadrophenia, le second opera rock (mais bon, c’est vite dit), un peu moins accessible que Tommy à cause des synthétiseurs mais tout aussi méritant. Dans les interviews, Townshend décrit le concept comme ‘la bande-son d’un film qui ne sortira jamais’ et envisage d’en rester là.
1975 est un grand tournant dans la carrière des Who : Tommy en concert marche bien. Tommy en tournée avec un orchestre symphonique marche bien. Il n’en faut pas plus pour Pete : Tommy deviendra un film, et il le devient la même année, sous les traits d’une comédie musicale franchement kitsch et ringarde sous la tutelle de Ken Russell, gros bonhomme qui s’emporte vite et jusqu’alors surtout célèbre pour ses téléfilms semi-pornographiques. A grands renforts de chorégraphies grandioses et de décors criards et agressifs, le film reprend ainsi les chansons de l’album quasiment mot pour mot pour raconter l’histoire du héros sourd-muet-aveugle qui redécouvre les intrigues de la vie.
‘Pour tous mes potes sourds muets aveugles du 93 !’
Mais c’est un échec. Townshend, complètement abattu, sombre dans l’alcool et l’héroïne, mais finit par se dire que lui aussi a droit à une seconde chance : Quadrophenia le film naît. Soyons clairs tout de suite : l’utilisation de la bande-son chez Roddam est radicalement l’inverse de celle chez Russell. Ici, et ça peut dérouter au premier abord, Roddam s’inspire de l’histoire de l’album, et ne le reprend pas : il romance l’histoire que l’album raconte, pour quasiment se débarrasser de la musique qui va avec. Le résultat est assez étrange, puisqu’en lieu et place de bande-son on se retrouve avec des bribes des chansons originales éparpillées ça et là, à peu près vingt secondes à chaque fois. C’est un parti pris assez déstabilisent, mais qui s’avère au final judicieux puisque l’histoire ne perd pas de sa crédibilité en n’envoyant pas d’acteurs faire des rondades arrières en chantant.
L’histoire, c’est celle de Jimmy, adolescent perdu au plein début des années soixante, c’est son quotidien, ses aspirations ou au contraire son manque d’aspirations. Réglons deux points : de un, les acteurs ne sont pas bien géniaux. Ils sont très corrects, Jimmy est même parfois touchant, mais ça reste très superficiel, et même si leur accent cockney est toujours fort rigolo, ça ne casse pas des briques. Le chanteur Sting fait une apparition (en lieu et place de Keith Moon, batteur du groupe tristement décédé un an plus tôt) et il ne fait pas grand-chose pour relever le niveau. De deux, pas de grande originalité dans la manière de filmer, oh non. Le format dans lequel je l’avais vu faisait penser à un téléfilm, avec la qualité de l’image, donc je ne m’approfondirai pas sur ce point ; mais les plans et cadrages ne sont vraiment pas singuliers, et à part quelques scènes marquantes (la bagarre dans le bar), tout est classique et sans prétentions – je veux dire, bien, et rien d’autre. (Mais alors, dites-donc, pourquoi j’en parle si je le trouve aussi moyen ?)
Parce que Franc Roddam est mon cousin
Pour l’histoire, tout simplement. Le film a su très bien retranscrire les aspects du portrait que dressait Townshend, et même aller plus loin que ça.
Tout d’abord, Quadrophenia le film, plus que Quadrophenia l’album, voulait être le film de toute une époque : celles des mods. Ces mods, les fashions de l’époque, qui ne vivaient que pour se battre, s’acheter des vêtements de marque et les Vespas les plus customisées possibles. Voilà les mods, les pré-punks, ceux auxquels appartenaient les Who, ceux à qui est destiné ce film grandement nostalgique. C’est leur quotidien qui nous est montré, la drogue, les bars, les boîtes de nuit, leur musique, et surtout, leurs bagarres avec leurs pires ennemis : les Rockers, ces s*lauds qui ne connaissent qu’Elvis et osent s’habiller en cuir. Parmi les scènes les plus mémorables, ce sont justement les reconstitutions de ces bastonnades dont l’ampleur absolument impressionnante est très fidèlement retranscrite. Quadrophenia c’est ça, c’est l’époque de ces deux clans qui s’affrontent sans merci à coups de chaises et de tessons de bouteille, c’est la violence sans merci qui s’exerce pour l’amour de la musique et l’envie de faire suer son monde, surtout les parents. Ce film, c’est le film d’une génération. J’avais lu une critique il y a de cela quelques années qui descendait gravement le film et qui disait notamment ‘Quadrophenia, c’est My Generation [premier single des Who] rallongée sur deux heures’. Il n’avait pas tort, dans un sens : c’est exactement ça, des jeunes qui ne veulent pas vieillir ; l’idée est juste un peu plus élargie (c’est pour cela que je m’aventurerai à dire que sur certains points, Quadrophenia est comparable à Trainspotting ; attention, je ne dis pas qu’ils se valent, loin de là, mais le film de Danny Boyle s’intéresse lui aussi à une génération de jeunes bouffés par les drogues, la délinquance et la musique – disons gentiment que Boyle s’en sort mieux).
Mais surtout, avant tout chose, Quadrophenia est un film sur l’adolescence. La jeunesse perdue et rebelle, celle qui souffre parce qu’elle ne trouve pas sa place dans la société, parce qu’elle n’aime pas l’avenir tout en en ayant peur. C’est l’âge où l’on se mange les premières désillusions amoureuses, où s’intégrer et se faire des amis devient aussi important qu’étouffant. C’est l’âge où l’on a besoin de repères sans l’admettre, où l’on se tourne vers les drogues, comme ça, pour essayer. Où l’envie de mourir est une solution envisagée, même très envisagée dans les moments difficiles. Quadrophenia (ne nous leurrons pas, c’est grâce à ce gros pif de Townshend) aborde tous les thèmes qui font de l’adolescence une période difficile. C’est bien pourquoi je l’aime beaucoup : peut-être est-ce à cause de mon âge, mais il me touche beaucoup, il me parle, il me rappelle des instants vécus. Peut-être qu’en vieillissant je me détacherai de toutes ces impressions, et peut-être que d’ici dix ans je ne ressentirai absolument plus rien en le voyant ; en attendant je veux pouvoir encore profiter de tout ce qu’il procure, continuer à me sentir mal en voyant la fin et soutenir ce Jimmy, parce qu’il aurait très bien pu être moi. Comme il aurait très bien pu être n’importe qui d’autre ; c’est la force majeure du film : il raconte en toute justesse, et on le comprend.

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