vendredi 28 novembre 2008

The Black Out, Abel Ferrara (1997)

Abel Ferrara m'a violé. Je n'avais jamais vu de films de ce réalisateur, et je n'ai jamais été violée, mais j'en suis sûre, c'est le mot. Etrange et sordide phénomène d'attraction-répulsion, horreur, dégoût mêlés d'une perverse fascination. Et puis la peur, aussi. Et cette sensation d'être mis à nue.

Tiens, Abel Ferrara a commencé avec un "film classé X" (j'aime les belles tournures d'allociné...). Allez savoir pourquoi ça ne m'étonne pas. On sent dans l'impudeur et la brutalité des images, la violence du propos (et accessoirement dans le personnage du vidéaste, qui fantasme sur le tournage d'une vidéo artistico-exhibitionniste, cf. paragraphe suivant), une certaine fascination perverse pour cette crudité et cette cruauté. De la vie ? De l'homme ? Du système ? Allez savoir. C'est là la force du film. On s'interroge. On a un peu la nausée, mais on se sert de sa tête autant que de ses tripes.

The Black Out, donc, en quelques mots. Matty est un célèbre acteur hollywoodien (et donc porté comme il se doit sur la drogue et l'alcool), en couple depuis cinq ans avec une jeune et jolie française fraîchement enceinte. Tous deux partagent d'ailleurs la vedette d'un pseudo-remake moderne à l'américaine de Nana (de Renoir) où les acteurs sont surtout des exhibitionnistes qui paient pour être filmés par la caméra perverse et affutée d'un vidéaste déçu par le cinéma. Mais lors de sa demande en mariage, Matty est complètement imbibé et cette nuit-là va s'effacer de sa mémoire... Et on le retrouve 18 mois plus tard, sobre depuis un an, et membre des Alcooliques Anonymes, en couple avec une saine et jolie jeune blonde. Mais l'angoisse obsessive de son black out et du départ inexpliqué de sa précédente compagne le pousse à retourner sur ses traces et faire face à ses démons.

Vu comme ça, le scénario peut sembler relativement classique, voire emprunt d'une certaine facilité. Et pourtant, les méandres qu'il trace, la découverte progressive de la réalité des souvenirs, les liens entre les personnages et les histoires savamment entremêlées lui confère toute sa complexité. De plus, les habiles exercices d'image auxquels Ferrara se plaît à se livrer servent admirablement son propos. La frontière entre réalité, rêve, hallucination et image virtuelle (ici kidnappée par la caméra du vidéaste et projetée sur des écrans dans certaines scènes, mais aussi les séances chez le psy dans la deuxième moitié du film) devient impalpable, et tous ses plans se mélangent pour amener le spectateur à s'interroger sur son rôle. Presque un voyeur, somme toute.

Mais c'est une évidence, Ferrara maîtrise son image dans les moindres détails. Usant de tout un jeu de parallèles et d'opposition, il crée une tension entre les deux moitiés de son film, qui s'apparente finalement autant à une boucle qu'à une longue chute. La jolie française du début est une brune aux cheveux courts, rebelle et désespérément sensuelle, mais c'est une blonde aux longs cheveux, douce et parfaitement saine qui se substitue à elle. Et tout le film se construit comme un paradoxe visuel pour illustrer la lente descente aux enfers de son personnage.


Et ce beau mélange, qui pourrait aisément ressembler à une grosse critique d'Hollywood, de la drogue et de l'alcool avec une jolie morale américanisante et dénuée de la moindre subtilité se transforme en une mécanique bien huilée, unique et efficace, qui pose le problème à l'envers. Parce que dans le film, tous les personnages sont déçus, cabossés, aigris, frustrés. Que ce qu'on voit, c'est pas des gens qui râlent et qui critiquent, c'est des gens qui se font abimer, qui se reprennent en pleine tronche les conséquences d'une machinerie dont ils ne sont que des engrenages parmi tant d'autres. Et nous aussi, d'ailleurs, quand on y réfléchit.
Je ne connais pas Abel Ferrara personnellement, mais je crois que le vidéaste lui ressemble. Déçu par le cinéma. Réfugié derrière des rêves à l'abri d'un mur d'images crues et sales... "La violence, c’est quand même terriblement graphique." avoue Ferrara. Et vu sa production, on ne peut pas vraiment lui donner tort, même si ça met mal à l'aise de voir les choses comme ça.

En fait, on est même refroidi. Tétanisé par le ruban d'une heure trente-huit de sado-masochisme sensoriel particulièrement malin qui vient de se dérouler face à nous, spectateurs parfaitement impuissants qui ne pouvant que découvrir, comme drogués à notre tour, l'implacable vérité. Cruel. Très cruel. Lucide, somme toute.

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