vendredi 17 avril 2009

PALE RIDER, Clint Eastwood (1985)

Critique à chaud de l’un des nombreux westerns réalisés par le cavalier solitaire.
Quelque part, dans un coin reculé de l’Amérique au temps de la Conquête de l’Ouest, un groupe de chercheurs d’ors tente tant bien que mal de survivre face à un filon maigre et aux harcèlements de plus en plus virulents de la compagnie extractrice voisine, qui veut s’approprier l’ensemble des terres de la région. Arrive un jour un cavalier solitaire qui va tenter de leur venir en aide…
Derrière ce scénario très classique se cache le jeune réalisateur Eastwood, encore sous l’influence nettement palpable de ses deux grands maîtres et amis Sergio Leone (qu’il serait inutile de présenter) et Don Siegel, le créateur de la célèbre franchise Inspecteur Harry. Bien qu’il ne soit pas à son premier coup d’essai (nous avons bien là affaire à son douzième film), il nous livre un western très classique, encore aux prises avec son personnage qui l’a rendu si célèbre, ce héros mystérieux, difficile à cerner (rappelons-le, il a pendant très longtemps été qualifié par les critiques de fasciste), au passé houleux, qui ne demande rien à personne mais qui agit selon son propre code moral ; une figure qu’il se plaît allègrement à démonter en tous points dans son excellent dernier film, Gran Torino. Clint Eastwood cherche ici encore son style entre les grandes influences qui ont forgé sa carrière cinématographique : dans Pale Rider, il est toujours très facile de discerner le bien du mal, le bon du mauvais ; et, paradoxalement, sous la part d’ombre que cache le héros se reflète en vérité un monde extrêmement manichéen, où le chef de la compagnie n’est qu’un terreau à vices, sans scrupules, rapace, voleur, violeur même, face à un groupe d’hommes honnêtes, profondément humains (ils aiment boire, ont des sentiments), victimes de l’appât du gain de leurs voisins. Et le héros, entre les deux, arrive et prend évidemment parti pour le bien, concourant à son triomphe final. Mais, paradoxalement encore, c’est à partir de ce monde extrêmement bien défini qu’Eastwood va définir des thèmes qui lui seront extrêmement chers pour le reste de son œuvre.
La religion, ainsi, occupe une place déjà prépondérante dans cette œuvre : les références bibliques sont multiples, les prières abondent, les personnages même lisent des passages de la Bible ; mieux encore : le héros qu’incarne Eastwood est un pasteur, et tout le long de l’histoire le scénario, le montage veillent à appuyer l’idée que sa présence est miraculée (le personnage, sur un cheval blanc, surgit de nulle part, au moment même où l’une des villageoises prie qu’un miracle vienne les sauver ; le personnage, encore, vu en contre-plongée, avec un ciel tourmenté derrière lui). Cela peut paraître un peu ‘lourdingue’, mais tout vise à servir cet autre thème qu’est la rédemption du héros et que le réalisateur-acteur déclinera quasi-systématiquement dans les autres films qui suivront celui-ci.
Bien qu’elle ne se dessinera jamais complètement, apparaît ici en effet cette facette du héros, qui a fait le mal dans sa vie, qui en porte toujours les stigmates, morales ou physiques, et qui cherche à en obtenir le pardon. Ainsi se définit sa conduite, par deux lois fondamentales : celle de la religion, la loi céleste (le héros est un prêtre), et celle des hommes, la loi du plus fort, qui conduit à prendre les armes pour venir en aide aux opprimés, sans jamais les inciter à devenir oppresseurs (quand vient le moment, le héros n’hésite pas à ressortir ses armes et à se battre). Ce thème précis, celui de l’homme qui a appris à devenir honnête, parce que c’est le seul moyen d’obtenir le salut, sera très amèrement retranscrit dans Impitoyable, l’excellent western qu’il réalisera en 1992 et qui est la preuve tangible de la formidable maturité et de l’esprit pessimiste et critique qu’aura acquis le réalisateur au cours de son existence.
Cette idée du repentir, tout comme celle du héros qui semble voguer entre le bien et le mal, est appuyée par un très intéressant jeu de lumières, de clair-obscur, où la face du héros n’apparaît que partiellement, et dont le profil éclairé semble décharné, rongé par les ans, par une souffrance intérieure (voir la scène avec Carrie Snodgress, Sarah dans le film, tout bonnement magnifique), qui n’est pas sans rappeler le Jean-Baptiste de De Vinci, dont le visage malicieux et contrasté incite à se tourner vers le crucifix, qu’il tient avec légèreté dans la main. C’est un peu cela, dans un sens, qui a forgé le mythe Eastwood actuel : un personnage, ordinaire et trouble, un peu comme nous tous dans une certaine mesure, qui sublime nos peurs et nos haines pour nous guider vers la sagesse (actuel, précisons bien : Dirty Harry n’a jamais vraiment été un modèle de bonne conduite). Là encore, un rapprochement avec Gran Torino est facile.
Autre thème également présent, qui est mineur mais qui le sera toujours dans sa carrière, c’est celui des amours impossibles, fugaces, personnifié ici par les deux femmes du film, une mère et sa fille, toutes deux éprises de ce cavalier solitaire venu leur redonner espoir en une vie qui leur semblait maladroite, incomplète. Difficile dans le cas présent de ne pas penser à Sur la route de Madison et à sa romance éphémère entre M. Eastwood et Meryl Streep. Il ne faut cependant pas se méprendre sur ce point -ce thème des femmes qui, le mari parti, se jettent sur le premier venu parce qu’il a sa part de mystère, et donc qu’il cache derrière lui une vie pleine d’aventures-, qui au premier abord pourrait paraître un peu misogyne : Clint Eastwood a toujours eu un profond respect pour les femmes, dont l’influence n’est jamais très loin des héros principaux (l’épouse décédée d’Impitoyable, l’ex-épouse au bord de la crise de nerfs de Jugé Coupable, les épouses dans Mystic River, ou encore la jeune voisine de Gran Torino), lorsqu’elles ne sont pas elles-mêmes héroïnes (L’Echange, bien évidemment).
Malgré son classicisme efficace et cette recherche d’affirmation de soi remarquable, tout n’est pas parfait dans Pale Rider. Le rythme, principalement, pose problème. Tout se passe très lentement, trop lentement, au risque de donner l’impression qu’il ne se passe rien : dès lors, quand viennent les moments d’action, inévitables dans ce genre de cinéma, ces derniers semblent particulièrement bâclés, expédiés à la va-vite, et c’est une désagréable impression d’autant plus marquante lorsqu’arrive la fin, qui sonne faux, tristement creuse.
Cette fin apporte également son lot de personnages (sept, pour être précis) qui ne sont pas sans poser de problèmes : dès leur apparition, tout concourt à nous faire penser qu’ils sont liés avec le narrateur ; état de fait largement confirmé par sous-entendus par la suite. Malheureusement, on n’en saura jamais plus que ce que nous donnent ces sous-entendus : c’est certainement un parti pris, visant à maintenir le mystère primordial autour du personnage, mais à l’écoute de certaines répliques, ce parti pris apparaît comme bancal. C’est l’une des faiblesses majeures du film, qui apporte beaucoup de questions pour ne donner, au final, que très peu de réponses : le cavalier solitaire était-il vraiment pasteur ? Qu’a-t-il fait avec ces sept personnages ? Dans ce souci de mystère, qui peut paraître inutile, Impitoyable est largement mieux réussi, distillant informations, les vraies comme les fausses, avec une finesse remarquable ; mais Pale Rider reste néanmoins un très bon divertissement. Un film à voir, donc, pour qui veut approcher l’étendue des préoccupations morales et artistiques du réalisateur. Et il ne faut pas se méprendre : Clint Eastwood est un virulent antimilitariste.

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