dimanche 19 avril 2009

BRONCO BILLY, Clint Eastwood (1980)

Etrange, étrange film que voilà dans la carrière du célèbre réalisateur, particulièrement loin de tout ce qu’il a pu diriger, avant comme après… Ici, pas de héros mystérieux, pas de cow-boy solitaire, de flic aux méthodes expéditives, de journaliste en quête insatiable de vérité ; mais un homme qui joue aux héros mystérieux, qui joue aux cow-boys dans la troupe de cirque ambulant qu’il s’est créé. Clint Eastwood semble avoir voulu se faire énormément plaisir avec ce film, dans lequel il interprète Bronco Billy, le tireur le plus rapide de l’Ouest, un artiste saltimbanque au grand cœur qui tente tant bien que mal d’assurer la pérennité de son chapiteau, de subvenir aux besoins de ses bras cassés de compères. Un film haut en couleur, donc, où les décors, les lumières, les personnages de ce flamboyant chapiteau semblent tout droit sortis d’un rêve d’enfant. Son rêve d’enfant : lorsqu’on lui demande, le réalisateur cite toujours ce film comme l’un de ses favoris.
C’est un peu l’histoire qu’on aurait tous plus ou moins aimé connaître, au fond : un jour, quitter sa vie, son travail, et se lancer dans une entreprise chargée de donner ni plus ni moins du rêve à ceux qui en veulent, ou à ceux qui en manquent ; vivre en compagnie de chevaux, de serpents, d’un manchot et d’Indiens ; sur la route, rencontrer une riche et jolie héritière, d’abord têtue, mais qui va peu à peu se délier de ses chaînes et devenir la compagne d’armes qu’on a tous déjà cherché, la personne qui partage nos passions et qui nous aide à devenir meilleur, à approcher ce que l’on aimerait réellement être. Eastwood livre ici un film déroutant, parce qu’il peut sembler très personnel, au premier abord ; mais son propos principal, « N’oubliez jamais de rêver ; et faîtes ce que vous avez envie de faire », semble aussi bien s’adresser à l’héroïne du film, lorsque l’Indienne Petite Souris lui fait la morale, qu’à tous les spectateurs, qui, en vieillissant, auraient eu tendance à l’oublier. Lorsque l’on voit Clint Eastwood accomplir quelques-unes de ses acrobaties à l’écran (il n’a été que partiellement doublé), on peut sentir à quel point il est juste heureux d’accomplir l’un de ses vieux rêves d’enfants, mais aussi à quel point il tient à le faire partager.
Ce film s’apparente aussi à un hommage léger à cette Amérique profonde, loin des projecteurs hollywoodiens, celle qui fut le berceau du réalisateur, celle qui lui a apporté tous ses fantasmes, qui l’a poussé à devenir ce qu’il est aujourd’hui, celui qui joue les cow-boys. On assiste à une espèce de mise en abyme, lorsque le personnage qu’il interprète avoue que son rêve d’enfant était de recréer pour lui-même ce monde révolu du Far West, « ce temps où cow-boys et Indiens n’appartenaient pas à l’histoire » ; ce qui a fait connaître Clint Eastwood, rappelons-le, ce sont bien ces personnages de cow-boy solitaire qu’il a tant de fois interprété.
Déclaration d’amour simplette à cet univers onirique qu’on a tous en nous, donc ; celui du paysage de notre jeunesse, où se mêlent les histoires que nous contaient nos parents ou que l’on voyait au cinéma, à nos envies de vivre éternellement comme de grands enfants, insouciants, faisant rire et trembler de nouvelles personnes chaque soir. Certes, le scénario n’a rien d’exceptionnel, fleure bon le déjà-vu (le cirque qui connaît des difficultés financières, un classique du genre), et la manière d’introduire l’actrice principale (Sondra Locke, sa compagne de l'époque), riche héritière trahie par son mari le lendemain de son mariage, sonne terriblement faux ; mais on voit vite combien ça n’a aucune importance pour le réalisateur ; combien celui-ci n’a qu’un but principal, nous emporter avec lui dans ses rêves, ses souvenirs, et nous faire partager ce bon moment dans un conte qui se moque de la vraisemblance (on retrouvera une version plus adroite de cette ambiance onirique dans Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal, où le meurtre n’hésite pas une seule seconde à se mêler aux chiens invisibles, aux comtesses travesties et aux sorcières).
Il ne faut pas voir plus loin que cela dans Bronco Billy : ici, Eastwood est juste à la recherche de ce qui pourrait nous redonner nos yeux d’enfants, nous redonner envie de croire à l’impossible, nous faire rire (la scène finale est à ce propos un formidable pied-de-nez au Rêve Américain) et nous émouvoir. Très vite, l’univers du cirque prend part au monde réel, au monde tangible, celui au-dehors du chapiteau, que les héros tentent d’oublier ; et lorsqu’arrive le gros shérif pour faire le sermon à Bronco Billy, eh bien on se surprend à remplacer le terrain vague dans lequel ils se trouvent par une ville, dans le désert, et on attend que Billy sorte ses pistolets en plastique et qu’il inflige une correction à cet homme, qui s’apparente plus à un bandit qu’à un shérif de bourgade, et qui ose vouloir nous priver de nos illusions, de notre désir de vivre comme des enfants. Bronco Billy est le symbole de cette innocence que l’on aimerait garder le plus longtemps possible ; en cela, il est une réussite.

Aucun commentaire: