lundi 20 avril 2009

Bugsy Malone, Alan Parker (1976)

D'une dizaine d'années l'aîné de la mythique fresque de l'Amérique de la prohibition de Brian De Palma (Les Incorruptibles en 1987), et digne petit frère des Howard Hawks et autres Nicholas Ray qui ont croqué successivement ces Twenties saveur Martini-on-the-rocks, Bugsy Malone s'amuse des fantômes passéistes qui planent depuis toujours sur le cinéma américain. Pendant faussement moderne du western, le film de gangsters est un autre genre fondateur, un pied dans l'Histoire, l'autre dans la fiction la plus débridée.

Le scénario, en quelques mots, n'a rien à envier à ceux des classiques du genre : Fat Sam est un chef de gang, tenancier d'une boîte clandestine où les artistes la tête pleine de rêves côtoient
la racaille de la pire espèce. Celui-ci, dont Dandy Dan a juré la ruine dans le sang, engage Bugsy Malone, dragueur à la manque, fauché et amoureux transi, pour découvrir et dérober l'arme secrète de ce coriace adversaire.

Seulement voilà : la mafia, Parker s'en fiche. Mais l'univers lui plaît, entre petites moustaches élégantes, fusillades spectaculaires et danseuses grimées de plumes, gaines et paillettes. Alors, le futur réalisateur de Fame, The Wall et Evita décide de dérider le genre. Et le film de gangsters devient donc une comédie musicale, portée par des acteurs âgés de douze ans en moyenne, qui s'entretuent à grand renfort de crème pâtissière.

Soutenu merveilleusement par une musique de Paul Williams (le compositeur, un an auparavant, de l'excellente BO de Phantom of the Paradise -de De Palma, les grands esprits se rencontrent...), le film se régale de la jonglerie qu'il installe entre les codes de genres. La mafia flirte avec le music-hall, et le bar de Fat Sam devient le lieu privilégié de ces mises en scène audacieuses, où un petit goût de Broadway plussoie le parfum âcre de Chicago. On pensait la légendaire synchronisation, l'énergie et la dérision de l'âge d'or de la comédie musicale évaporées, dans ces années 70 hantées par les Ken Russel et leurs rondades criardes, mais Parker marche fièrement dans les traces de ses glorieux prédécesseurs.

En mettant son talent dans la direction des mini-acteurs au service de ses ambitions parodiques, il appuie ses partis-pris visuels, en totale adéquation avec les codes du film de gangsters : fidélité de la reconstitution historique, jeux de lumières, de fumée, plans américains et larges en alternance, lieux caractéristiques (la salle de bar, le bureau du boss, les rues de Chicago...), courses poursuites... ; mais aussi de la comédie musicale : inscription des chansons dans le déroulement de l'histoire, unité des danseurs (souvent tous les personnages d'une scène) pour les chorégraphies, mises en scène spectaculaires des moments chantés, compositions symétriques, jeux de contre-plongées...

Et si Parker choisit que toutes les chansons soient interprétées par les enfants en play-back sur des enregistrements d'adultes, cela ne fait finalement que prouver encore plus leur talent d'acteurs (le play-back n'est vraiment pas chose facile...) et l'extraordinaire maîtrise du réalisateur dans sa direction. Il est d'ailleurs fort dommage que si peu de ces enfants-acteurs aient poursuivi leur carrière (Scott "Bugsy Malone" Baio se cantonne aux sitcoms ; Dexter "Baby Face" Fletcher passe de Lynch à Michael Bay en passant par Mann, Mike Leigh et Jon Amiel ; Michael Jackson et Jodie Foster -qui sortait alors à peine du tournage de Taxi Driver de Martin Scorsese, où elle donnait la réplique à Robert De Niro- , eux, inutile de préciser... Tous les autres, en revanche, ont immédiatement mis un terme à leur fraîche carrière.), tant ils témoignaient d'un réel talent et d'un brillant sens de la dérision.

Dérision. C'est là le maître-mot du film. Tant dans la réalisation que le jeu et le scénario, Bugsy Malone est un joyau d'humour, une parodie improbable et burlesque qui n'a pas pris une ride et se regarde avec la nostalgie de la grande époque Hollywoodienne (Parker étant pourtant britannique), mais aussi celle de notre insouciance enfantine, du temps où tout un chacun se prenait pour un grand. La grande force de cette oeuvre-culte, c'est évidemment cette universalité, qui, selon l'expression consacrée "plaira aux petits comme aux grands".

"Rétrospectivement, je pense honnêtement que nous étions fous de tenter cette aventure. Mais à l'époque, il ne nous est jamais venu à l'esprit qu'un concept créatif aussi absurde ne fonctionnerait pas." déclare aujourd'hui Parker. Comme quoi, heureusement qu'il y a des fous.

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