lundi 20 avril 2009

L'Etrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher (2009)

Couvrir un siècle, raconter une vie... Vaste entreprise. A fortiori quand la vie en question est celle de Benjamin Button, le héros de Francis Scott Fitzgerald, qui naît à l'âge de 80 ans pour vivre sa vie à l'envers. Et si Spike Jonze et Ron Howard ne se sont pas sentis à la hauteur, David Fincher, le génial réalisateur de Seven (1996) et Fight Club (1999), relève le défi, pour notre plus grand plaisir. Ainsi, deux ans après Zodiac, Fincher laisse de côté ses thrillers obscurs et tourmentés pour nous croquer, en une fresque grandiose et baroque, l'Etrange Histoire de Benjamin Button.

Cette histoire, en effet, est pour le moins étrange. C'est celle d'un garçon, qui naît en 1918, à La-Nouvelle-Orléans, mais dont le corps porte déjà la flétrissure du temps. Ridé comme les petits vieux qui terminent leur vie dans la maison où, abandonné par son père (sa mère meurt en lui donnant naissance), il passe son enfance, il ne pouvait qu'avoir un destin hors du commun. Et pourtant, son histoire, pareille à celle de chacun de nous, est faite de rencontres, de déceptions, d'expériences, d'amour, de rêves et d'épreuves. Sans sombrer dans le pathétique, mais toujours avec une infinie tendresse, se déroule devant nous le fil d'une vie, le portrait d'un homme, tout simplement, finalement aussi extraordinaire et unique que vous et moi.

Nul doute que ses incursions, en ouverture de sa brillante carrière cinématographique, dans la supervision des effets spéciaux (notamment sur Le Retour du Jedi en 1983 et Indiana Jones et le Temple Maudit ainsi que l'Histoire sans Fin l'année suivante) ont énormément servi à Fincher pour la réalisation de ce film. En effet, impossible en le regardant de ne pas remarquer la virtuosité du travail de l'image. Pour raconter une vie, il est bien sûr indispensable de matérialiser le vieillissement, et dans le cas présent, le rajeunissement. Prouesses techniques (la caméra "Contour" développée par Apple, entre autres) et maestria des maquilleurs permettent d'ailleurs au film injustement négligé lors de la Cérémonie de remporter un Oscar des meilleurs effets spéciaux amplement mérité.

Mais au delà de ces audaces numériques, on ne peut pas manquer, tout simplement, la beauté de l'image. Fincher se place en peintre d'une exceptionnelle fresque visuelle, profondément ancrée dans la réalité. Même si son histoire "tient de la fable" (pour reprendre ses mots), il orchestre une reconstitution extrêmement minutieuse, et un siècle défile devant sa caméra et devant nos yeux. S'inspirant de l'histoire du cinéma (qui est finalement l'histoire du siècle) pour recréer les univers successifs qui rythment le XX° siècle, il veille minutieusement sur chaque vêtement, chaque décor, chaque accessoire, et confère à son film une allure particulièrement authentique.

Cependant, si le réalisme est très présent, il sert finalement de faire-valoir à la "fable" du scénario. L'idée de départ, sur laquelle l'écrivain américain Mark Twain a mis des mots, est simple : "La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et que nous approchions graduellement de nos 18 ans.". Mais Fitzgerald, et Fincher après lui, creusent la complexité du problème : cette sentence ne s'applique qu'à un seul personnage, qui rajeunit en regardant les gens qu'il aime se flétrir (et réciproquement). De plus, Twain ne tient pas compte dans sa phrase de ce que devient l'enfance. Ainsi donc, le joli rêve devient une réalité bien plus cruelle qu'il n'y paraît. L'oeuvre devient un tableau intimiste et désuet, photographie sépia qui hésite à "bien" vieillir, sans pour autant tomber dans l'écueil des odeurs de naphtaline, écrin de velours pour une histoire d'amour qui recule pour mieux avancer.

Le film, en effet, questionne les relations humaines, l'amour, la famille, au delà de l'interrogation temporelle qui le hante. En tisserand minutieux, Fincher fait s'entrecroiser ses personnages, comme autant de fils densifiant son récit fantasmagorique. Le montage parallèle du "présent", celui de la vieille dame dans son lit d'hôpital, celui des prémices de l'ouragan Katherina et le "passé", récit lu par sa fille, journal de Button, participe de cette idée (empreinte du pessimisme caractéristique de Fincher sans pour autant tomber dans la sinistre dépression) selon laquelle les gens se croisent, se trouvent, se ratent, se rencontrent, s'oublient...

Conte qui peut prendre des allures moralisatrices de "l'habit ne fait pas le moine", cette Etrange Histoire n'en est pas moins une prenante leçon de cinéma, d'abord, mais aussi une non moins prenante leçon de vie.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il n'y a pas à dire... tu sais trouver les mots qui donnent envie de voir un film, ou en l'occurence, de le revoir.
Nelly T.