jeudi 4 mars 2010

Une Education, Lone Scherfig (2010)

L'Angleterre des années 60 a ceci de merveilleux que ses transformations sociales, politiques et culturelles ont inspiré aux réalisateurs modernes quantité de chefs-d'œuvre, tous teintés d'une nostalgie romantique à l'égard de cette époque unique. Une Education est de ceux-là. Née sous la patte de Lone Scherfig, ancien camarade de Lars Von Trier et Thomas Vinterberg au sein du Dogme 95 et réalisateur d'Italian for Beginners -une des matrices de la branche tragicomique du film romantique- cette Education est celle de Jenny Mellor, étudiante anglaise de 16 ans, visant une entrée à Oxford et cumulant injustement beauté sage, intelligence et grande culture, mais qui, flaubertienne, ignore tout de l'amour. Biberonnée middle-class victime de la dictature du paraître (jouer du violoncelle dans un orchestre comme hobby peut faciliter une entrée en grande école, mais s'entraîner à en jouer n'est absolument pas nécessaire), elle s'émancipe et s'épanouit au contact d'un trentenaire dont la culture n'a d'égale que l'épaisseur du portefeuille.

Nommée aux Oscars pour son premier grand rôle au cinéma, la jeune Carey Mulligan est parfaite dans son rôle de jeune fille explorant ses possibilités de femme. En face d'elle, Peter Saarsgard joue David, figure de séducteur à la fois rugueux et tendre, maniant à merveille le non-dit et le mensonge pour parvenir à ses fins. Sa victime préférée est le trop rare Alfred Molina, une nouvelle fois excellent, ici dans le rôle d'un père touchant de maladresse, qu'on aime puis qu'on déteste en une fraction de seconde (comme une adolescente, quoi). Les seconds rôles complètent le tableau à merveille, de la directrice d'école tendance suffragette (superbe Emma Thompson) à la prof frustrée et protectrice (Olivia Williams, en parfait pied-de-nez à sa composition d'institutrice objet de tous les désirs de Jason Schwartzman et Bill Murray dans Rushmore, de Wes Anderson) en passant par Danny (Dominic Cooper) et Helen (Rosamund Pike), couple piquant de l'homme brillant au business louche et de la femme superficielle et sans intérêt, qui permet de tendre ou détendre les situations selon les scènes ; sans doute les personnages les plus intéressants du film.

Scherfig excelle à filmer les transformations physiques de son actrice principale. Après un générique entraînant, aussi joli qu'amusant (une plongée dans le quotidien du lycée pour jeunes filles de l'héroïne, le tout en très gros plan et souligné de dessins très parlants), il nous présente l'archétype de la première de la classe, seul bras levé de la classe pour répondre à une question sur Jane Eyre. Sa frange et ses cheveux un peu décoiffés exaltent son charme de femme-enfant : qu'Emma Watson retourne chez Burberry, sa carrière mourra avec la fin de la saga Potter. Au fil du film, on la découvrira en talons, en robe à fleurs, maquillée, chignonée et cachée derrière des lunettes façon Audrey Hepburn (références ouvertes), et même en déshabillé. Ses cheveux, lorsqu'ils seront par la suite laissés libre, lui donneront l'air de la femme amoureuse, sauvageonne et lascive. Finie la première de la classe ; son innocence est morte en découvrant l'amour. Les jeux de caméra cristallisent la métamorphose : souvent, l'héroïne est détaillée de haut en bas, pour faire montre de son évolution physique, mais des gros plans sur son visage font disparaître la femme et ressusciter la jeune fille le temps d'un sourire enfantin.

Toutefois, le glamour à outrance a un revers : à l'instar d'Helen, il faudrait pour être parfaitement adaptée au monde que lui offre David, qu'elle devienne un bel et bête objet. Occasion pour le réalisateur de glisser dans son film un message féministe qui inscrit à merveille la petite histoire dans la grande. La manœuvre eut certes pu être plus subtile, mais on remercie quand même Scherfig de ne pas céder à un manichéisme trop facile (femme = intelligence supérieure dotée d'une trop grande indulgence ; homme = salaud). Celui-ci s'offre le luxe de réaliser un film poétique et intelligent, tendre et cruel, abordable comme un divertissement, ou à voir comme une belle relecture de Jane Eyre ou une intéressante auscultation des transformations sociales des années 60.

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