vendredi 19 mars 2010

A Single Man, Tom Ford (2010)

A la radio, on évoque la crise des fusées de Cuba. Assis dans sa voiture, il y a un homme qui, ne supportant pas la vie depuis le décès de son amant, a décidé de mettre fin à ses jours. La petite et la grande Histoire ne se croiseront jamais plus, à part anecdotiquement au détour d'une conversation. Pourtant, l'amant portait son beau costume de marin qui a finit la guerre, quand seize ans plus tôt, il rencontrait l'homme assis dans sa voiture. Mais les drames de la seconde moitié du XXe siècle n'intéressent pas le styliste / cinéaste Tom Ford, il leur préfère le drame à échelle humaine, celui d'un homme qui redécouvre la vie quand il a décidé d'y renoncer.

L'histoire de la passion contrariée et de la rédemption a le mérite d'être universelle. Le choix de mettre en scène un couple homosexuel troublera probablement quelques conservateurs à la morale archaïsante, mais c'est le sentiment amoureux qui préoccupe Ford, et son absolu se moque des préférences sexuelles. Mais on regrettera que, même pétri de bonnes intentions, il ne fasse pas l'impasse sur les personnages secondaires trop stéréotypés : l'amie d'enfance amoureuse transie (Julianne Moore, émouvante malgré une sous-exploitation qui passe pour de la platitude), la voisine un peu niaise, middle-class et pas très à l'aise avec l'homosexualité de son voisin ou encore l'étudiant fasciné par son prof, pas trop sûr de ses orientations sexuelles.

Mais si l'histoire n'a rien de vraiment original, c'est que Ford mise sur la forme pour (se ?) prouver qu'il peut filmer. S'il devait s'embourber dans les méandres d'une narration à tiroirs, il n'aurait pas pu se permettre d'aussi francs partis pris visuels. Toutefois, à l'arrivée, ceux-ci s'avèrent parfois déroutants, voire discutables. La photo est superbe : à un quotidien traité dans des couleurs cadavériques reflétant l'état psychologique du personnage se substituent des souvenirs, parfois dans un noir et blanc photographique, parfois dans des tons chauds de chair sensuelle. Problème : c'est joli mais c'est décoratif. Il n'y a pas d'unité dans les flashes-back et pas toujours de logique dans l'évolution des couleurs par rapport au mental du personnage (or c'est bien cette volonté-là qu'on sent, bien que pas toujours maîtrisée).

Etranges également ces alternances plans ultra-nets à focale longue / séquences en steady cam injustifiées narrativement (le jardin des voisins) ou plan d'ensemble / très gros plan interminable (la scène de la secrétaire du lycée). Celles-ci donnent au film une esthétique clipesque qui s'éloigne du propos : les procédés ne sont pas assez poussés pour donner à l'ensemble une dimension onirique, mais le sont trop pour garder l'illusion du réel. Ponctuent également le film des séquences Nouvelle-Vaguesques, où les personnages tiennent des conversations totalement abstraites et où le réalisateur se délecte d'un champ/contre-champ en très gros plan sur leur visage (la séquence du bar entre George et Kenny). Assez joli, mais creux ; il faudrait au moins Godard pour défendre le parti pris.

Ainsi, l'ensemble est beau à regarder, mais froid : l'empathie peine à prendre. Toutefois, force est de convenir que cet écrin chirurgical convient très bien à l'épanouissement de Colin Firth, brillant dans son rôle d'endeuillé. Il habite ce cadre glacial d'une grâce sublime, d'une trempe apte à faire oublier tous les (Marc) Darcy un peu trop mièvres. C'est avec élégance et subtilité que ce géant sous-exploité va rappeler son existence au cinéma, à n'en point douter. Quant à Tom Ford, il aurait pu faire une pire publicité aux artistes pluridisciplinaires. Il aurait aussi pu en faire une meilleure en ne traitant pas son film comme un défilé de mode obsédé par la forme, et en négligeant moins la force de l'histoire et des sentiments du roman de Christopher Isherwood.

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