lundi 1 mars 2010

Brothers, Jim Sheridan (2010)

Il y a des acteurs dont le talent reste méconnu. Ils sont engoncés dans des superproductions étouffantes aux personnages peu matiérés, il se trouve toujours quelqu'un pour leur faire de l'ombre ou simplement, ils se retrouvent dans un film qui déçoit dans son ensemble. Mais il se trouve soudain sur leur passage un film, un rôle, dans lequel ils s'épanouiront et prouveront leur valeur. Pour Tobey Maguire, sous-exploité hors de la franchise Spider-Man, ce film-là s'appelle Brothers. Il y campe Sam Cahill, un héros shakespearien à la fois moderne et intemporel : confronté à un dilemne atroce lors du conflit en Afghanistan (tuer son compagnon d'armes ou se faire tuer lui-même), il fait le choix de vivre en portant l'impossible malédiction de la culpabilité et de l'incommunicabilité. Mais de retour auprès de sa femme et ses deux filles après avoir été porté pour mort pendant trois mois à cause de sa disparition, il découvre que son jeune frère s'est immiscé dans la vie de sa famille.

Remake d'un film danois très peu distribué en France (Brode), signé par Jim Sheridan (qui participa fortement, avec Au nom du Père, à la découverte de Daniel Day-Lewis), Brothers est doté d'une force évocatrice incroyable. On ne verra que peu d'images de la guerre, simplement celles, indispensables, qui permettent au spectateur de connaître le traumatisme de Sam, mais son fantôme est omniprésent. Dans chaque larme, dans chaque silence, Sheridan fait percer la douleur muette de ceux qui n'ont pas connu le champ de bataille. La subtilité du propos du film est là : les gens restés aux Etats-Unis ne connaîtront jamais ce qu'ont enduré les soldats, mais les soldats ne comprendront jamais non plus la nature de leur souffrance coupable. Ce n'est donc pas un film sur la guerre, ni même directement sur ses conséquences. C'est un film sur l'incompréhension, l'éloignement physique et psychologique ; un film sur une perte insupportable qui n'appartient qu'à soi (celle de l'amour, de la confiance, de l'innocence...).

Pour porter cette histoire de drame mental, Sheridan dresse une galerie de personnages criant de vérité, incarnés dans le sens le plus fort du terme par des acteurs habités. Sam Cahill, capitaine marine en Afghanistan, de retour aux Etats Unis après le traumatisme de sa capture, sa torture et sa libération, porte en lui l'inexprimable souffrance d'avoir tué un ami. Son complexe paranoïaque est matérialisé par l'interprétation magistrale d'un Tobey Maguire torturé, émacié, aux allures d'un cadavre au milieu de la face duquel éteincellent une paire d'yeux d'un bleu glacial, à la fois plein de détresse et de colère. Jake Gyllenhaal joue avec force son jeune frère Tommy, doté des mêmes yeux surexpressifs, mais cette fois plein d'une joie innocente qui succède à sa colère d'ancien bagnard, homme en quête de reconstruction, qui cherche à trouver sa place dans un univers familial où il a toujours été dénigré au profit de son frère. Complétant à merveille ce triangle amoureux, Nathalie Portman donne corps à Grace, jeune femme forte et fragile, contenant ses sentiments pour épargner ses deux filles, veuve de guerre rongée par la colère et le remords plus que par le chagrin.

Autour d'eux, une galerie de personnages secondaires se déploie, formant un cadre familial typique de middle-class américaine, dont tous les acteurs brillent par leur force et leur sobriété. Sam Shepard est parfait en père en quête de rédemption, vétéran du Viêt-Nam tentant de construire une relation avec le jeune fils qu'il a toujours dénigré. Les actrices incarnant les deux filles de Sam et Grace sont saisissantes, toutes en douleur, en incompréhension et en colère contenues ; bouleversantes pour des enfants aussi jeunes (la scène de l'anniversaire est à ce titre la plus représentative du film). Quand à la jeune Carey Mulligan, elle prête ses traits de femme-enfant à l'amie de Grace, jeune mère et veuve de l'homme tué par Sam pour rester en vie, dont la déchirure et le dilemne, d'une nouvelle nature (comment pardonner à celui qui reste en vie là où l'homme qu'elle aimait est mort ?), hante le film malgré sa brève apparition.

Mais malgré ses acteurs impeccables et sa mise en scène au cordeau, alternant plans larges et froids et gros plans, au plus près des corps (particulièrement des yeux) ; Brothers présente quelques faiblesses. La musique, par exemple, paraît en décalage avec le film. Là où la présence d'immortels morceaux d'anthologie pop donne aux films de Wes Anderson une incroyable proximité avec le public, le choix de U2 en thème principal (Winter, et dans une moindre mesure Bad) surprend. Quand Bono élève la voix, on sort complètement de l'histoire, la gravité des paroles ne suffit pas à combler le décalage que crée la musique avec les ambiances d'hiver glacial. Des moments superbes sont refroidies. Fort heureusement, les scènes les plus prenantes, graves et sublimes se déroulent dans un silence terrible, qui renforce avec bien plus de force et de sobriété l'émotion qui tord le ventre et la gorge.

Dommage également que visuellement, l'opposition entre l'Afghanistan, désert brûlé de sang et de poussière, et les Etats Unis, couvert d'un manteau de neige, ne soit pas plus marquée. Cela n'aurait fait que renforcer le propos du film. Toutefois, Brothers reste un excellent film, prenant aux tripes à la fois comme un drame shakespearien et comme un essai sur la naissance de la folie. Parvenir à faire passer un tel flot d'empathie dans une oeuvre aussi glacée restera un tour de maître pour Sheridan.

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