jeudi 18 décembre 2008

La non-histoire de la combinatoire sémantique avec Anna Wierzbicka ou comment il m'a fallu six jours pour venir à bout du dernier Irvine Welsh



Un beau cluster de morphèmes, comme dirait mon tonton. Eh bien voilà. Après neuf années d'attente (quatorze pour nous, les bons français), après la pièce de théâtre, le film, les posters grand format, ce sacré rigolard d'Irvine Welsh nous sort la suite de sa vénérable Chapelle Sixtine couleur vomi, Trainspotting. Et ça s'appelle Porno. Hmm, alléchant titre, de quoi réveiller le pouvoir sexuel de tout un chacun. Depuis tout ce temps, l'idée de voir venir une suite aux aventures spatiales de toute cette bande de garçons dans le vent semblait inenvisageable – limite obscène. C'est vrai : comment oser ramener, comme ça, pouf pouf, sur le devant de la scène littéraire les joyeux zigues qui avaient éclairé toute une génération ? Fichtre, Trainspotting était un monument ; comment peut-on avoir suffisamment confiance en soi pour oser monter L'Arc de Triomphe 2 ? Visiblement, Welsh n'a pas eu peur de grand chose quand il s'est mis en tête de donner une deuxième vie à Renton, Spud, Sick Boy, Begbie et consorts (ou presque, eheh).
Eh bien nom de nom, la sauce tient. On commence, doucement, et puis bam, sans s'en rendre compte, on se retrouve de nouveau pris dans leurs aventures foireuses, leurs histoires minables de drogue et de sexe, leur désir de fric. Et on est content de tous les revoir, chacun leur tour (même ce putain d'enfoiré de Begbie), et on est même enclin à accueillir à bras ouverts la nouvelle venue, Nikki, jolie jeune fille qui étudie le cinéma et qui compense son manque d'estime de soi par un caractère démesurément érotomane. Un personnage bien classique des histoires de Welsh, en somme.
Porno se concentre principalement sur le projet fou de Sick Boy, décidé plus que jamais du haut de ses trente-cinq ans à boire de la gloire par hectolitres ; viré de sa boîte, il reprend le bar d'une de ses tantes, situé en plein Leith, le quartier d'Edinburgh où il avait souhaité ne plus jamais retourner, pour monter l'un des plus grands pubs du coin, et pourquoi pas virer genre caïd de la drogue. Mais après une rencontre fortuite avec 'Juice' Terry (personnage d'un autre roman de Welsh, Glue, ce qui donne lieu à un crossover entre ses romans assez amusant -pour peu qu'on en ait quelque chose à cirer) et sa rencontre avec Nikki, la combine du siècle naît au fond de ses yeux débordant de génie : l'avenir, c'est dans le porno amateur. La sodomie, oui. Adhérons pleinement à cette théorie fort irrévérencieuse et plongeons-nous dans la succession de ses plans foireux pour se trouver du financement, des acteurs et de la distribution, et nous avons un bon aperçu du roman. Et c'est très drôle, en fait ; on n'évite pas les passages inévitables vu le sujet, style mon être dans ton néant, mais certaines situations dégagent un humour ahurissant.
Et puis il y a les autres. Porno, comme Trainspotting, reprend le concept du roman choral : Begbie en prison ; Renton déprime en Hollande ; Spud galère. Eux aussi, on est content de les relire, et même si leur rôle est mineur, ils imposent pas mal par leur présence. Enfin ; ça s'arrête là. Un gros regret à avoir vis-à-vis de Porno : là où Trainspotting multipliait avec brio les narrateurs, les points de vue, les histoires connexes et parfois complètement barrées, Porno se limite à cinq personnages. Et encore ; la part belle est de loin laissée aux pérégrinations sesqüelles de ce cher Simon David Williamson et de sa comparse. C'est très regrettable ; leurs deux histoires, qui s'embriquent, ont une furieuse tendance à faire de l'ombre aux autres, ou pire : à vous fiche impatient de lire les aventures des trois autres. La force de Trainspotting, c'était cette manière d'évoquer la solitude et l'errance des jeunes à travers tous les jeunes, en parts égales ; point de tout cela ici, comme si le plan à thunes de Sick Boy devait être le sujet central du bouquin, et dès lors développé à outrance, au risque de gravement lasser. Choisir de reprendre les mêmes personnages, mais tous les mêmes personnages une décennie plus tard, au risque de seulement en évoquer un, mais sans en laisser un s'imposer aux autres, aurait peut-être été plus judicieux. Faire plus dans le social, disons. Voilà bien la preuve : de loin, de TRES TRES loin, Spud est le personnage le plus intéressant, le plus touchant, le plus proche de l'esprit du premier. C'est limite normal, vu que pour lui, la situation n'a pas des masses changé. Toujours la même manière de parler, évidemment (autre problème : par moments, Welsh ne maîtrise plus très bien ses différents styles ; c'est peut-être un choix, mais les passages Sick Boy et Renton tendent à s'uniformiser, à ceci près que Sick Boy est devenu un pur sale con), de nouvelles galères ; sa volonté de s'en sortir conduit aux moments les plus sincères et les plus tristes du roman. C'est dans un de ses passages que le roman frise l'apothéose, digne successeur du premier, et on en a presque envie de chialer et d'oublier tous les défauts du bouquin susnommés : mais tout tombe lamentablement à l'eau.
C'est ça le problème : Welsh, comme nous, est trop attaché à ses personnages. On est content de les revoir, et lui aussi, et ça se sent : il n’ose pas trop y toucher. Les choses évoluent pour eux, certes, mais c’est comme si il se refusait de les abîmer, au risque de recourir à d’horribles facilités narratives, ou à d’insoutenables moments de suspense qui se finissent en queue de flétan. C’est comme ça que de nombreuses situations, charnières dans l’histoire, sont complètement gâchées par ce désir fou de rester plus ou moins dans le soft, fait étrangement contradictoire avec le thème scabreux du bouquin. Le pire étant peut-être la fin ouverte du bouquin, dont je ne parle même pas et dont j’ose à peine imaginer les conséquences sur sa bibliographie future (M. Welsh, pitié.).
Tout ça pour dire que le bon vieux monsieur a passablement raté le coche. Bon, disons qu’il l’a pris, mais qu’il a encore les semelles compensées qui traînent maladroitement sur la route : Porno est un bon petit livre, divertissant et tout et tout, mais qui ne peut pas prétendre être le digne héritier de son grand frère, qui peut-être plaçait la barre un peu trop haut ; et de ce fait il était largement dispensable. M. Welsh, peut-être qu’il est temps de passer à autre chose. Style le pain de seigle, c’est bon le pain de seigle ; écrivez un livre sur du pain de seigle. Eh oui, de quoi tous nous rouler dans la farine ! (tambour)

Aucun commentaire: